Alors que la maison- mère, The Walt Disney Company, a enfin décidé de sonner la fin de la récréation en lançant une OPA sur sa filiale française de 30 ans, Euro Disney SCA, et que le complexe francilien, Disneyland Paris, fête cette année son 25ème anniversaire, la rédaction a décidé une nouvelle fois (7 ans après notre première rétrospective) de revenir sur une histoire de plus de 30 ans: l’aventure « Euro Disneyland ».
Mais avant de commencer cette série de 6 articles, qui s’étalera jusqu’à la semaine de la date anniversaire de Disneyland Paris, nous tenions à remercier l’ensemble de la communauté des Disney Fans, sans qui une grande partie des photos et vidéos de ce dossier n’aurait pu être trouvée, ainsi que Sébastien Roffat, auteur du livre « Disney et la France » (édition l’Harmattan) sur lequel s’appuie la majorité des informations exposées dans ce dossier.
1984-1987 : Du Rêve à la Réalité, la Naissance d’Euro Disneyland
Il est souvent considéré l’année 1987 comme étant celle actant l’avènement d’un Disneyland sur le vieux continent, avec la signature du plus important Partenariat Public-Privé de l’époque, conclu entre l’État Français et le géant américain des loisirs, The Walt Disney Company (abrégé TWDC).
Cependant, l’histoire commença bien avant. Officiellement, la première fois qu’il a été question d’un Disneyland en Europe, ce fut en 1984, lorsque les patrons de la division « attraction » de la Walt Disney Company, James Cora et Richard Nunis, présentent leur projet à Michael Eisner et Frank Wells. Le complexe nippon de la firme venait d’ouvrir il y a juste un an, et les résultats étaient plus qu’encourageants. Les deux dirigeants de TWDC sont directement emballés par ce projet Européen, d’autant qu’ils viennent juste de prendre la tête de la société, en prise à de nombreux problèmes depuis quelques années. Un tel coup serait ainsi le moyen d’asseoir leur notoriété, tout en redorant l’image de la compagnie Disney alors en perte de vitesse.
.Mais reste à savoir où s’implanter? Sur ce point, une véritable « guerre fratricide » va s’engager entre la France et l’Espagne. Dans cette histoire, la France se sent plus légitime. En effet, c’est elle qui avait proposé à la Walt Disney Company de venir s’implanter sur son territoire, et cela bien avant que le projet ne soit rendu public. Mais de l’autre côté, l’Espagne voyait la venue de Disney sur son territoire comme un moyen de l’ouvrir plus rapidement sur la Communauté Économique Européenne (qu’elle rejoindra en 1986), de lui permettre ainsi de rattraper son retard économique, et surtout de conforter alors sa place de première destination touristique mondiale que la France lui dispute âprement. De plus, la péninsule ibérique possède un climat bien plus favorable à l’implantation de ce type de complexe que la rivale trans-pyrénéenne.
Pendant plus d’un an, les deux pays vont ainsi avancer leurs arguments et présenter plusieurs sites possibles d’implantation, notamment autour d’Alicante et Barcelone pour l’Espagne, et autour de Paris et Toulon pour la France. Côté français, c’est une véritable cacophonie, alors que chez les Espagnols, le projet semble bien ficelé. Jusqu’au dernier moment, ces derniers sont quasiment sûrs de l’emporter. Mais c’était oublier l’obstination des Français. Dans un sursaut de lucidité, les politiques font fi de leurs couleurs, s’unissent dans un front commun et acceptent de répondre à tous les désirs de « l’Oncle Picsou ».
Mais alors que quelques jours avant, il était encore en négociation avec l’Espagne, Michael Eisner arrive finalement à Paris, et signe le 18 décembre 1985 avec Laurent Fabius, premier ministre de l’époque, le protocole d’accord pour la construction d’Euro Disney en France.
A ce moment, tout le monde pensait que l’affaire était bouclée, mais c’était sans compter sur les élections législatives de 1986, qui conduisirent à un changement de majorité. Le RPR de Jacques Chirac arriva donc aux affaires. Il faudra donc attendre encore un an, afin de voir enfin la signature de la Convention pour la Création et l’Exploitation d’Euro Disneyland en France.
C’est donc le 24 mars 1987 qu’est signée la Convention pour la Création et l’Exploitation d’Euro Disneyland en France, par 8 représentants des secteurs public et privé:
- Micheal Eisner, PDG de The Walt Disney Company
- Jacques Chirac, Premier Ministre de la France
- Pierre Méhaignerie, Ministre de l’Équipement, du Logement, de l’Aménagement du Territoire et des Transports
- Michel Giraud, Président du Conseil Régional d’Île-de-France
- Paul Séramy, Président du Conseil Général de Seine-et-Marne
- Paul Reverdy, Président du Conseil d’Administration de la RATP
- Jean Poulit, Directeur Général d’EPA MARNE
- Jérôme Bouvier, Président du Conseil d’Administration d’EPA MARNE
Nous passerons rapidement sur le contenu complet de la Convention, sachant que vous pourrez la trouver en téléchargement gratuit ici et qu’elle est consultable sur place chez les différentes administrations signataires. Nous pouvons cependant retenir certains points essentiels:
+ Concernant les 2 principaux signataires (l’État, et la Walt Disney Company):
- La Convention court sur 30 ans, et s’achèvera le 24 mars 2017. Elle est reconductible après accord entre les divers partenaires.
- Le Secteur 4 de Marne-la-Vallée, dit le Val d’Europe (et ses plus de 3000 hectares) sera le site d’accueil du complexe et de ses alentours.
- En cas de litige entre les deux parties, seule une commission internationale (la Cour Européenne) sera apte à juger et rendre un verdict.
- L’Aménageur et l’État garantissent un minimum de retombées fiscales au département de Seine-et-Marne. En cas de minima non-atteint, les deux parties devront rembourser au département la différence.
+ Concernant la Walt Disney Company et sa filiale Euro Disney SCA:
- La Walt Disney Company s’engage à ne pas construire d’autres parcs dans d’autres pays d’Europe pour une durée déterminée.
- La société Euro Disney est l’aménageur privé de l’ensemble du site sous « concession », c’est à dire de presque 2000 hectares de terrains.
- L’Aménageur a l’obligation de construire 2 parcs d’attractions sur le site.
- Les parcs doivent promouvoir la culture française, et plus largement la culture européenne, notamment en utilisant le français comme langue principale, et à travers une attraction cinéma-circulaire (le défunt Visionarium).
- L’Aménageur doit construire une quantité de logements afin d’accueillir à terme un minimum de 40 000 résidents sur le secteur 4.
- L’Aménageur doit construire une « zone d’activité économique » capable de contrebalancer le point de la Défense, à l’Est de Paris (comprenant des activités marchandes, des activités d’affaires…)
- L’Aménageur s’engage à créer un nombre minimum défini d’emplois directs et indirects sur l’ensemble du secteur.
- L’Aménageur s’engage à faire appel, à hauteur de 90%, à des fournisseurs français ou européens pour l’approvisionnement du parc.
- La piscine du Davy Crocket Ranch est considérée comme un parc aquatique par la Convention.
+ Concernant l’État et ses Établissements Publics:
- L’État s’engage à faire voter une loi réduisant le taux de TVA sur les entrées des parcs d’attractions de 18,6% à 7% (valable également pour la concurrence en France).
- L’État, via la RATP, s’engage à prolonger le RER A jusqu’à l’entrée du parc, et à garantir une desserte minimum du site (calculée à partir des données de l’INSEE de l’époque).
- L’État, via la SNCF, s’engage à détourner de quelques kilomètres le projet d’Interconnexion Est des LGV en Île-de-France, et de créer une gare nouvelle sur cette LGV en droit du secteur 4 de Marne-la-Vallée.
- L’État s’engage à viabiliser les terrains pour le compte l’aménageur (électricité, gaz, alimentation et évacuation des eaux, infrastructures routières primaires…), et à les lui revendre à prix réduit.
- L’État s’engage à créer deux nouveaux échangeurs sur l’Autoroute de l’Est, ou A4.
- L’État, via la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) s’engage à accorder des crédits à taux préférentiels à l’aménageur.
Afin de faciliter les démarches administratives, l’ex EPA MARNE est scindé en deux Établissements Publics: EPA MARNE qui s’occupera des secteurs 1, 2 et 3 de Marne-la-Vallée, et EPA FRANCE, qui s’occupera exclusivement du secteur 4.
De son côté, TWDC a déjà pris les devants, puisque depuis le 12 mars 1987, elle a créé sa filiale Euro Disneyland SA, présidée par Robert Fitzpatrick.
Même si la Convention est contraignante pour les deux principales parties signataires (à savoir, l’État français et TWDC), ces dernières comptent tout de même en tirer un avantage certain.
Pour la France, c’est un plus indéniable dans sa conquête du titre de « première destination touristique mondiale ». De plus, les investissements qu’elle a consentis à faire sont finalement une goutte d’eau comparée à l’argent qu’elle va en retirer via les divers impôts et taxes (au final, 1€ d’argent public investi pour 9€ d’argent privé, pour un amortissement des investissements publics en seulement 2 ans et demi après l’ouverture du parc).
Pour The Walt Disney Company, il s’agit surtout d’éviter les erreurs commises avec la création de Tokyo Disneyland. En effet, ce complexe, qui s’est révélé être le plus rentable de tous les resorts Disney, n’appartient pas à « l’Oncle Picsou », mais à l’Oriental Land Company, une société japonaise indépendante, qui ne fait que « louer » l’image de Disney (frais de licences), ainsi que les services d’Imagineering, la filiale de Disney qui imagine et conçoit les attractions.
Une batterie de juristes, embauchés par TWDC pour mettre en place la société d’aménagement et de gestion du site d’Euro Disneyland, va donc s’atteler à cette tâche ardue. Finalement, le modèle choisi n’est pas si éloigné que ça de celui mis en place à Tokyo, à ceci près que la Walt Disney Company sera l’actionnaire principal de ladite société créée. De plus, il est choisi d’opter pour la création d’une Société en Commandite par Actions (SCA), qui dispose d’une structure juridique particulière, idéale pour protéger la gouvernance de l’entreprise lorsqu’on en est le créateur et que l’on choisit de ne pas en posséder la majorité du capital boursier, afin de faire rentrer un maximum d’argent venu de l’extérieur.
Via ce montage financier habile, TWDC peut ainsi contrôler à 100% les activités d’Euro Disney SCA, tout en profitant du concours financier de divers investisseurs, et en ayant elle-même investi finalement très peu au départ. L’investissement est énorme, puisqu’il représente près de 30 milliards de Francs (4,57 milliards d’€uro), dont 22 milliards de Francs (3,35 milliards d’€uro) uniquement pour le volet loisir du projet. Mais paradoxalement, la part de la Walt Disney Company ne s’élève qu’à 726 millions de Francs (110 millions d’€uro).
La filiale Euro Disneyland devient Euro Disney SCA en 1989. Avant la mise sur le marché, la Walt Disney Company a émis à son profit des actions à 10F (1,52€). Actions qu’elle remettra quelques temps plus tard sur le marché à 72F (10,97€), réalisant ainsi une très belle plus-value. Le capital boursier de l’entreprise est ouvert le 8 octobre 1989, et la cotation du titre débute le 6 novembre de la même année. 51% des actions d’EDSCA sont ainsi mises sur le marché, les 49% restants seront en possession de la Walt Disney Company (qui ne peut descendre à moins de 16,67%, d’après les termes de la Convention de 1987).
Côté conception, Disney fait appel aux meilleurs architectes (Frank Gehry, Robert A.M Stern, Antoine Grumbach, Antoine Predock, Michael Graves). Un grand concours est même organisé pour déterminer quels seront les projets hôteliers choisis pour être construits sur le parc. Jean Nouvel y participera, mais son projet d’hôtel sur le thème de Fantasia ne sera pas retenu.
Du côté d’Imagineering, les meilleurs des meilleurs sont sur le projet:
- Tony Baxter : responsable général du projet Euro Disney.
- Eddie Sotto : responsable du développement de Main Street USA et de Central Plaza.
- Jeff Burke : responsable du développement de Frontierland.
- Chris Tietz : responsable du développement d’Adventureland.
- Tim Morris : responsable du développement de Fantasyland.
- Tim Delaney : responsable du développement de Discoveryland.
Ils voient grand, ils voient beau, mais ils vont surtout tenter de répondre aux attentes du public européen, jugé plutôt sévère vis-à-vis de la qualité. Mais ils doivent surtout jongler avec un impératif de la Convention: promouvoir la culture française et européenne. Ce fut un travail de longue haleine, qui demanda de multiples créations de maquettes et de dessins préparatoires.
Côté travaux, ceux-ci commencent le 2 août 1988, et dureront jusqu’à l’ouverture, en avril 1992. Le chantier est énorme, puisqu’en plus du parc et de ses 55 hectares, il faut également construire les 7 hôtels à thème, ainsi que le centre de divertissement, Festival Disney (qui deviendra le Disney Village en 1996) et l’immense parking de plus de 10 000 places. Des gens venant de toute l’Europe travailleront sur le chantier, afin que celui-ci soit livré en temps et en heure. Des émissions sont même consacrées à cet immense chantier, d’une envergure comparable à celui de l’Euro Tunnel.
Avec Main Street USA, découvrez le charme et l’hospitalité d’une petite ville des Etats-Unis du début du XXe siècle. Passez devant des boutiques de style victorien avant de prendre une calèche pour aller manger une glace au Gibson Girl Ice Cream Parlour. Comme au bon vieux temps, lorsque Walt Disney était petit garçon.
À Frontierland, promenez-vous dans le Far West légendaire : croisière en bateaux à aubes, course folle à bord du train de la mine « Big Thunder Mountain », aire de jeux Pocahontas – Le Village Indien pour vos enfants, et frissons garantis à Phantom Manor.
Des contes magiques des Mille et une Nuits aux fascinantes histoires des pirates des Caraïbes et des chasseurs de trésor, Adventureland donne vie à un monde d’aventures inspirées d’anciennes légendes, d’histoires vraies, de personnages imaginaires de film et des grands classiques Disney.
Fantasyland est le plus merveilleux des Pays. C’est là que les contes de fées et les histoires qui ont inspiré les films d’animation de Disney prennent vie, comme par magie.
Discoveryland est le royaume où se côtoient avec les grands aventuriers de l’esprit, rêveurs, visionnaires, inventeurs, savants et auteurs de science fiction que furent ou sont Léonard de Vinci, Jules Verne, H.G. Wells ou Georges Lucas.
Le 6 décembre 1990, à Serris, ouvre l’Espace Euro Disney, un immense hall d’exposition présentant le parc et les travaux, au travers de films, photos et maquettes. Il fermera ses portes le jour de l’ouverture du parc. À l’intérieur, vous pouviez y trouver les toutes premières brochures promotionnelles du resort. Vous pouvez d’ailleurs en télécharger une ici.
Au cours de l’année 1991, la future division spectacle du resort crée un show promotionnel, « Euro Disney, Feel the Magic ». C’est un véritable succès, dans toute l’Europe. En France, le spectacle est fusionné avec celui d’Anne, la jeune égérie Disney, pour donner « Anne au Pays d’Euro Disney », visible en intégralité ci-après.
En mars 1991, le Centre de Renseignements et de Réservations téléphonique ouvre. La presse en fait les échos, et il se murmure déjà que l’année d’ouverture, ce sera complet tous les jours; on parle même de réservations allant jusqu’à l’an 2000.
Le 2 septembre 1991, le Casting Center accueille ses premiers demandeurs d’emploi. À un peu plus de sept mois de l’ouverture, la grande campagne de recrutement des premiers Cast Members commence, créant d’ailleurs une polémique dans la presse française, sur les conditions d’embauche.
Le 12 octobre 1991, à six mois de l’ouverture, la presse internationale est invitée à venir visiter le chantier. Plus de deux mille journalistes sont présents, afin de contribuer ainsi à faire la promotion du parc.
Le 13 février 1992, lors de l’Assemblée Générale des actionnaires, on commence déjà à s’interroger sur la capacité de la société à gérer convenablement le parc. En effet, certaines entreprises responsables de la construction du parc se retrouvent sur la paille, à cause d’impayés de la part de Disney. Cependant, Robert Fitzpatrick assure que ces affaires sont en cours de résolution.
À quelques jours de l’ouverture, la pression monte de plus en plus. Les journaux télévisés annoncent le 12 avril comme un jour de blackout total dans tout l’Est parisien. On prévoit plus de 4h de bouchon pour les 40 kilomètres d’accès au parc et le préavis de grève, déposé par les syndicats de la RATP pour le jour de l’ouverture, n’arrange pas la situation.
Du côté des communes du Val d’Europe et surtout de Chessy, la grogne commence à monter concernant l’intensité sonore des feux d’artifice, en test depuis déjà 2 semaines. Les médias font monter de plus en plus le buzz à l’arrivée du jour J, comme le montre ce reportage d’Antenne 2, qui fait une rétrospective générale du projet.
Mais finalement, le 11 avril 1992, la grande cérémonie d’inauguration a enfin lieu, et est retransmise en mondiovision, sur les plus grandes chaînes de télévision du monde. Mais pour voir cela, rendez-vous la semaine prochaine, pour le second numéro de cette série, qui vous fera découvrir ou redécouvrir la grande cérémonie d’inauguration du resort, le 12 avril 1992… et surtout, ce qui s’en suivit après.