Depuis la semaine dernière, et à l’occasion des 30 ans de la Convention pour la Création et l’Exploitation d’Euro Disney en France, nous vous proposons de découvrir ou de redécouvrir la grande épopée de l’Histoire de Disneyland Paris et de sa maison mère, Euro Disney SCA. Dans la première partie, nous couvrions les origines du projet, de sa naissance en amont de la signature de la Convention mars 1987, jusqu’à la veille de l’inauguration du parc en avril 1992. Nous poursuivons ici notre récit avec l’ouverture du parc, et surtout les deux années difficiles qui s’en suivirent, allant jusqu’à menacer la survie même d’Euro Disneyland et de sa société d’exploitation.
Euro Disneyland vu du ciel, quelques jours avant l’ouverture
1992-1994 : De la Réalité au Cauchemar, la Première Crise d’Euro Disney
En ce 11 avril 1992, c’est le Grand Événement people de l’année: l’inauguration d’Euro Disneyland. Toutes les célébrités du moment se sont données rendez-vous dans ce lieu, qui aura mis près de 8 ans avant de sortir de terre, afin d’assister à une cérémonie d’ouverture grandiose. Parmi les stars, nous pouvions voir Cher, Tina Turner, Angela Lansbury, François Feldman, ou bien encore George Lucas et Eddie Barclay. Toutes les télévisions étaient là, de la TVE1 à ABC, en passant par ITV. En France, c’est TF1 qui retransmit la soirée, présentée par Jean-Pierre Foucault et David Halliday.
L’ouverture du parc marque aussi le début d’un changement dans la promotion d’Euro Disneyland, et notamment en matière de publicité vidéo. En effet, finies les références visuelles à Walt Disney World, qui servaient jusque-là à présenter la destination, et bonjour aux images provenant de notre magnifique complexe européen, tout beau et tout neuf.
Les journaux télévisés de l’époque se font également l’écho de cette ouverture, notamment celui de FR3 (France 3). Puis vint enfin le jour de l’ouverture officielle au public, le dimanche 12 avril 1992. La première famille, les Le Clercq, est l’heureuse gagnante de Passeports Annuels à vie. Et encore une fois, les journaux télévisés en ont parlé.
Main Street Station, entrée du parc, le 12 avril 1992
Mais en ce premier jour d’ouverture, où tout était beau, la forteresse Disney commençait déjà à se fissurer. En effet, alors que le parc a ouvert un dimanche, jour où traditionnellement, il devrait faire le maximum d’entrées, la fréquentation n’est pas au rendez-vous : seulement 20 à 30 000 personnes, pour un parc à la capacité de plus de 60 000 visiteurs par jour.
Bien évidemment, la presse française commence à retourner sa veste, elle qui jusque-là, avait défendu le projet. Elle ne parle principalement que des « tarifs exorbitants de Mickey », accentuant ainsi cette image de « destination de luxe » dans un univers de « carton pâte ». Et le clou est enfoncé par François Mitterrand, le Président de la République de l’époque, qui déclare à propos de Disney que ce n’est pas sa « tasse de thé ».
Alors qu’un mois après l’ouverture, la presse américaine tire déjà la sonnette d’alarme sur la fréquentation, la Direction d’Euro Disney se veut, elle, rassurante, mais sans toutefois donner de chiffres. Les attaques se multipliant de toutes parts, et surtout de la part de la concurrence, Robert Fitzpatrick décide de rompre avec la tradition, et annonce une fréquentation de 1,5 millions de visiteurs sur 7 semaines (ce qui, logiquement, nous amènerait à une fréquentation d’un peu plus de 11 millions de visiteurs sur la première année, c’est à dire, conforme aux prévisions).
En plus des critiques, Disney doit surtout faire face à de nombreux problèmes, non anticipés lors de la conception du projet. Le premier, ce sont les habitudes alimentaires des Européens, comme la non-vente de boissons alcoolisées au sein des restaurants du parc, qui pénalise pas mal le chiffre d’affaires de ce secteur. De plus, les Européens, et surtout les Français, sont de grands amateurs de pique-nique, et viennent donc directement avec leur propre nourriture (même si cela est théoriquement interdit par le règlement intérieur du parc). La nourriture est vraiment problématique chez Euro Disney. En effet, pour s’adapter à la clientèle européenne, il avait été imaginé des hamburgers plus gros et moins gras que les classiques américains. Le problème, fut l’obtention d’un produit beaucoup plus sec, qui ne fut pas du goût de la clientèle. Il fallut donc revoir entièrement la chaîne de production, afin de revenir à des produits plus classiques.
L’autre problème, plus important, ce sont les habitudes vacancières des Européens. Ceux-ci ayant plus de congés que les Américains, ils ont tendance à voyager plus souvent, et du coup à consommer moins lors de chaque séjour. Cela provoqua un déficit de vente assez massif des produits de merchandising.
Mais l’organisation et les catégories de confort des hôtels Disney vont également poser problème : il a été choisi de construire principalement des hôtels de grand standing. Or, la clientèle européenne recherche principalement des hôtels dits « économiques » dans ses déplacements loisirs, plutôt que de grands palaces. Le Gouvernement, dès 1985, avait déjà averti Disney de cet aspect, mais visiblement, la Souris n’en a fait qu’à sa tête.
Tous ces problèmes d’infrastructure et de gestion conduisent vite à un assèchement des caisses d’Euro Disney.
Hôtels trop grands, et catégories trop élevées, la Walt Disney Company aurait-elle surestimé le potentiel de son complexe européen ?
Courant 1992, Robert Fitzpatrick déclare que le projet de second parc, les Disney-MGM Studios, est gelé. Le prix des hôtels est revu à la baisse, afin d’attirer les touristes. Le président d’Euro Disney déclare pour la première fois, qu’à la lumière des premiers résultats, il « n’est pas en mesure d’assurer que la société dégagera un profit en cette première année d’exploitation ». À la suite de ces déclarations, l’action Euro Disney baisse, passant de 120 Francs, à 109,5 Francs, en une séance.
Pour palier au problème de fréquentation, une nouvelle campagne de pub, « La Californie à 32 kilomètres de Paris », est mise en place, le but étant de faire le plein avant fin octobre, début de la période creuse. Visiblement, cela marche, puisque le mois d’août 1992 est un très bon mois, avec un taux de fréquentation des hôtels proche de 100 %.
À la fin de l’été, la Direction maintient ses estimations de fréquentation pour la première année, et la barre du 6 millionième visiteur est même franchie, faisant d’Euro Disney le parc du groupe ayant attiré le plus de monde lors de sa période de lancement. Philippe Bourguignon, vice-président d’Euro Disney SCA déclare même que les discussions à propos de la phase II ont repris, que l’État a donné son feu vert. Et Fitzpatrick d’ajouter qu’il a reçu une lettre du premier ministre, relative au développement des deuxième et même troisième parcs.
Concept art des Disney MGM Studios, tels que prévus lors de l’ouverture du complexe en 1992
Cependant, côté finances, il y a toujours un problème. Les estimations de remboursement de la dette se révèlent très vite obsolètes. En somme, l’entreprise dépense plus qu’elle ne gagne, et n’arrive pas à retirer un bénéfice assez important pour assurer à la fois son fonctionnement, et le remboursement de sa dette. Une note adressée à Eisner l’informe de la situation. Le président de la Walt Disney Company joue sa crédibilité sur cette affaire. Il est donc mis en place des compressions budgétaires significatives. Cela commence par le non-renouvellement des emplois saisonniers, et le non-remplacement des démissionnaires. Il est également décidé de baisser à nouveau les tarifs des hôtels durant la saison hivernale, afin d’attirer les gens en période creuse. A cela s’ajoute une décision radicale, la fermeture temporaire (d’octobre à mars) de l’hôtel Newport Bay Club, le plus grand hôtel d’Europe, permettant ainsi d’économiser 20 % de capacité hôtelière non-utilisée, avec toutes les charges de fonctionnement que cela implique. La presse se fait l’écho de ces éléments à travers la détérioration des conditions de travail des employés, et notamment la vague de démissions qu’a connu le groupe depuis l’ouverture du parc (plus de 10 % des effectifs de l’époque).
Paradoxalement, Eisner fait maintenir l’enveloppe d’investissement de plus d’un milliard de Francs, prévue avant le début des problèmes de trésorerie. Les 500 premiers millions seront affectés au développement des attractions qui ouvriront en 1993 (Le Pays des Contes de Fées, Casey Jr. le petit train du cirque, Les Pirouettes du Vieux Moulin, Indiana Jones et le Temple du Péril, La Galerie de la Belle au Bois Dormant, Legends of the Wild West).
En septembre 1992, un premier bouleversement a lieu au sein de la Direction. Robert Fitzpatrick perd la charge de PDG pour ne devenir que le Président d’Euro Disney SCA. Philippe Bourguignon prend ainsi le poste de Directeur Général de la société, devenant ainsi le n°2. Certaines mauvaises langues de l’époque diront que c’était un moyen de mettre Fitzpatrick « au placard », dans l’optique d’une transition vers une équipe de direction plus européenne. Et elles n’avaient pas tout à fait tort, puisque 4 mois plus tard, Fitzpatrick annonce son intention de quitter l’entreprise. C’est alors Bourguignon qui le remplacera, assurant ainsi les fonctions de Président et Directeur Général d’Euro Disney SCA. La passation de pouvoir aura lieu le 12 avril 1993, pour les 1 an du parc.
Entre Robert Fitzpatrick « l’américain », et Philippe Bourguignon « l’européen », deux styles différents s’affrontent.
Dans une lettre aux actionnaires, d’octobre 1992, faisant le point sur la situation après 6 mois d’exploitation, la Direction se dit satisfaite de la fréquentation. Cependant, les résultats financiers ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Sans remettre en cause sa politique, la Direction a plutôt tendance à se réfugier derrière la situation économique difficile en Europe, ainsi que sur les multiples grèves ayant affecté la France cette année-là. Il est annoncé le report du développement immobilier de la phase II, à cause de la crise immobilière française. L’activité première de l’entreprise sera privilégiée, avec le développement du second parc et d’un parc aquatique. Cependant, aucune date n’est avancée.
Le premier exercice d’exploitation s’acheva en cette fin septembre 1992 (en réalité, c’est plutôt un demi-exercice d’exploitation) et les résultats tant redoutés tombèrent le 18 novembre 1992. De plus, la Direction prévoit des chiffres sensiblement équivalents pour le semestre suivant.
Suite à cela, l’action baisse à nouveau, terminant la séance sur un repli de 7 %. Sur un peu plus de 6 mois, l’action a perdu près de la moitié de sa valeur, passant de près de 150F en mars 1992, à 68F en novembre 1992.
Pourquoi le parc ne dégage-t-il pas de profits ? La réponse tient en 10 points :
- une fréquentation et un taux d’occupation des hôtels inférieurs aux attentes ;
- des dépenses par visiteur plus faibles que prévues ;
- des charges financières plus lourdes que prévues ;
- un marché immobilier morose ;
- un montage financier inadapté en raison du retournement de la conjoncture économique ;
- une situation économique générale défavorable en Europe ;
- un taux d’inflation inférieur à celui que la France a connu ;
- des taux d’intérêt plus élevés que prévus (à 7 % contre 3 % espérés) ;
- les Jeux Olympiques de 1992, à Barcelone (Espagne) ;
- l’Exposition Universelle de 1992, à Séville (Espagne).
Entre les Jeux Olympiques de Barcelone et l’Exposition Universelle de Séville, l’Espagne est la grande gagnante des événements internationaux de l’année 1992. La Walt Disney Company aurait-elle misé sur le mauvais cheval en choisissant la France ?
Les mois d’hiver se révèlent finalement meilleurs que prévus en terme de fréquentation. Le groupe est même obligé de rouvrir deux étages du Newport Bay Club pour faire face à la demande. Mais du côté des communes du Val d’Europe, une certaine impatience commence à se faire ressentir. En effet, celles-ci ont investi dans de nombreux équipements et infrastructures, mais les travaux de la phase II, qui les concernent directement, ne débutent toujours pas. Pourtant, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Si la population de Chessy n’a pas explosé avec l’arrivée d’Euro Disney, ses recettes fiscales par contre si, avec un budget multiplié par 5,5, atteignant les 26 millions de Francs, grâce notamment aux taxes de séjours et foncières. Même son de cloche du côté de Coupvray. Par contre, Magny-le-Hongre, Bailly-Romainvilliers et Serris sont toujours en attente. De plus, les maires de Chessy et Coupvray déposent une plainte devant le tribunal administratif, en raison des nuisances sonores fréquentes, dues aux feux d’artifices tirés par Disney.
Les Feux d’Artifices, principal point de discorde entre Disney et les riverains historiques du parc.
Début 1993, la passation de pouvoir au sein de la Direction va se révéler extrêmement difficile pour les cadres américains. En effet, ceux-ci refusent de suivre les instructions de la nouvelle équipe française, prétextant prendre leurs ordres « d’ailleurs » (autrement dit, directement de la maison mère). Bourguignon leur laisse le choix: « soit vous suivez, soit vous rentrez en Amérique ». Trois des cadres récalcitrants décident de partir ; ils seront immédiatement licenciés pour faute grave à leur arrivée aux USA. « Dès lors, plus personne n’a traîné les pieds. Et nous avons pu commencer à changer ce qui n’allait pas » dixit Bourguignon. Dans cette difficile tache de redresser la barre, Bourguignon sera constamment assisté de Steve Burke, créateur du concept des Disney Stores, et Directeur Général Opérationnel.
Toujours en ce début d’année, Richard Nanula, directeur financier de la Walt Disney Company, et Larry Murphy, directeur de la planification stratégique TWDC, s’envolent pour Paris avec une équipe de comptables et d’experts, afin de mesurer la santé financière d’Euro Disney SCA. Et comme ils l’avaient annoncé à Eisner depuis des mois, les prévisions de remboursement volent littéralement en éclat. Pendant 2 mois, ils vont travailler d’arrache-pied avec la Direction d’EDSCA pour mettre en place une stratégie de reprise en mains.
Steve Burke, ancien directeur général opération d’Euro Disney, aujourd’hui président d’NBC-Universal
Malgré les mauvais résultats financiers, la fréquentation, elle, semble toujours au beau fixe. Durant plusieurs week-ends de mars et avril 1993, le parc est même mis en blackout total. Les tourniquets de l’entrée sont même déconnectés, afin d’éponger le flux massif de visiteurs. Cette fréquentation est le résultat des nouvelles campagnes de promotions, notamment le nouveau billet francilien, qui permet aux habitants d’Île-de-France d’accéder au parc pour 150F/adulte (23 €), contre 225F/adulte (34 €) au tarif de base. Le 11 millionième visiteur est accueilli quelques jours après le premier anniversaire. Pour attirer les visiteurs de toute l’Europe, la Direction décide de s’adapter à sa clientèle. Ainsi, on fêtera désormais la Saint Patrick, la Sainte Lucie ou le 14 juillet dans le parc, en plus des traditionnelles fêtes d’Halloween, de Noël et de Pâques.
Mais un problème surgit assez rapidement quant à ce point de fréquentation. En effet, les estimations de préouverture tablaient sur une fréquentation de 11 à 12 millions de visiteurs pour arriver à dégager un bénéfice. Or, au vu des chiffres de la première année, il se révéla vite que ce n’était pas 11 millions, mais 14 millions de visiteurs minimum qu’il faudrait accueillir pour arriver à ce que la société soit viable. Bien évidemment, les infrastructures du parc de 1992 étaient sous-dimensionnées pour accueillir 2 millions de visiteur en plus.
Le Pays des Contes de Fées, Indiana Jones et le Temple du Péril, Les Pirouettes de Vieux Moulin, trois attractions ouvertes en 1993, mais suffiront-elles à attirer assez de visiteurs?
Mais le feu est véritablement mis aux poudres le 8 juillet 1993. Ce jour-là, la Direction annonce une perte record de 500 millions de Francs (76 millions d’€uro), uniquement sur le 3ème trimestre. Celle-ci s’ajoute bien sûr à la perte du premier semestre, de 1 milliard de francs (152,5 millions d’€uro). Cela a pour conséquence directe, le gel total de la phase II, alors que celle-ci devait être signée dans les jours suivants. Les analystes de la célèbre banque d’investissement Morgan-Stanley, prévoient une perte annuelle de près de 1,9 milliards de Francs. La Direction, elle, est plus pessimiste, et parle de pertes supérieures à 2 milliards de Francs.
Fin juillet 1993, une vingtaine de cadres de Disney, dont Eisner, Nanula, Murphy, Bourguignon et Burke, se réunissent à Aspen, pour faire le point sur la situation. Le climat est tendu. Les cadres ont décidé de faire entendre raison à Eisner. Ils l’accusent d’avoir voulu un projet beaucoup trop ambitieux, dont les surcoûts ont totalement faussé les analyses de remboursement. Tableaux chiffrés à l’appui, ils démontrent la véracité de leurs dires. Bourguignon enfonce le clou en parlant « d’erreur de conception initiale d’Euro Disney ». Eisner est furieux. Il demande pourquoi il n’a pas été informé avant. Bourguignon lui répond qu’ils n’allaient pas venir présenter ce désastre sans apporter de solution et qu’ils travaillaient depuis des mois à établir un plan de redressement, impliquant l’arrivée d’un nouvel investisseur, le prince Al-Waleed (13ème plus grande fortune du monde).
Une fois la présentation finie, Einser semble totalement abattu. À contre cœur, il accepte la restructuration. Cependant, il ne s’avouera jamais être responsable de l’échec, accusant son Directeur Général, Frank Wells. Même si ce dernier avait une part de responsabilité, il ne faisait qu’appliquer les décisions d’Eisner. Depuis ce moment, la double tête de la Walt Disney Company ne cessa de se déchirer. Cette guerre des chefs, qui affectera durablement TWDC encore des années, ne s’achèvera qu’en 1994, avec la mort prématurée de Wells.
Le Prince Al-Waleed d’Arabie Saoudite rentre en discussion avec Disney dès 1993, mais ses pétrodollars suffiront-ils à sauver EDSCA de la faillite ?
Une partie de la restructuration commence avec la simplification de la Direction d’Euro Disney SCA. Steve Burke prend la Direction Générale de la division Euro Disney Resort, fusion des divisions parc, hôtels et divertissements. Les problèmes remontent ainsi plus vite, et les décisions prises plus rapidement. En continuation de la politique de prix ultra agressive, une restructuration du merchandising a également lieu. En effet, on avait cru que les Européens voulaient des produits de luxe, ou des produits plus sobres. Or, ces produits sont soit jugés trop chers, soit trop « moches » par la clientèle. Il faut donc entièrement réadapter l’ensemble, pour se rapprocher plus des produits vendus dans les parcs américains. Du côté de la restauration, il est enfin mis en place la vente de vin et de bière, mais seulement si les boissons alcoolisées s’accompagnent d’un repas.
Outre des ajustements opérationnels, Euro Disney tente une nouvelle politique de prix cassés, afin de faire venir en masse la clientèle, et notamment les locaux franciliens.
En août 1993, Bourguignon et Eisner démentent à plusieurs reprises les rumeurs journalistiques de possible fermeture du parc. Début septembre, la future restructuration se dessine de façon plus nette. Eisner évoque une double piste : augmentation de capital par émission d’actions, et ouverture du capital à un investisseur étranger. Durant la seconde moitié de 1993, les négociations avec les banques commencent. L’une des premières mesures prises, c’est le versement direct de 350 millions de dollars, le 4 novembre 1993, afin de couvrir le manque à gagner des 6 prochains mois d’EDSCA, ainsi que les coûts de la phase II avortée.
Les chiffres du second exercice tombent 6 jours plus tard, et ils sont catastrophiques. Cet énorme trou dans le résultat net, en comparaison de celui du précédent exercice, provient d’un changement de méthode comptable, effectif depuis octobre 1992 et permettant de mieux mesurer la performance de l’entreprise. En effet, certains coûts relatifs à la pré-ouverture, autrefois capitalisés et amortis linéairement sur une période donnée, sont désormais comptés dans les charges. Dans son rapport de gérance, Philippe Bourguignon annonce officiellement la mise en place de la restructuration. À la suite de cette annonce, le titre plonge à nouveau, finissant la séance à 27,2 francs (contre plus du double l’année précédente).
Le 15 novembre 1993, les commissaires aux comptes sont formels : si la restructuration n’aboutit pas le plus rapidement possible, alors la société devra faire face à un problème de liquidité et ne pourra pas poursuivre ses activités. En d’autres termes, si Euro Disney ne trouve pas très vite de l’argent frais, le parc devra fermer ses portes… définitivement.
Avec l’argent versé par la Walt Disney Company, le parc peut fonctionner jusqu’à la fin mars 1994. Si une solution n’est pas trouvée d’ici là, alors « le parc devra fermer » affirme Eisner dans sa lettre aux actionnaires de TWDC. Par cette déclaration, le but du patron de Disney est de mettre la pression sur les créanciers d’Euro Disney, pour qu’ils acceptent la restructuration de la dette, sans pour autant exposer ouvertement la maison-mère aux problèmes de sa filiale européenne.
Suite aux déclarations d’Eisner, les principales banques ayant investi dans le projet (BNP et IndoSuez) commandent une étude sur les comptes de l’entreprise. La Walt Disney Company se dit prête à coopérer, mais en janvier 1994, les banques accusent Disney de leur cacher certaines données. Face à cette mésentente entre les divers créanciers et TWDC, Bourguignon se sent dans une impasse totale. Un de ses amis lui conseille alors de faire « un chantage à la liquidation judiciaire », afin de mettre tout le monde d’accord une fois pour toute.
La BNP, la Banque IndoSuez et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), principales créancières d’Euro Disney SCA
Les banques ne sont cependant pas prêtes à lâcher l’affaire. En effet, elles estiment que c’est à la maison-mère de prendre ses responsabilités, car c’est elle qui a décidé de réaliser un projet trop ambitieux, tout en ayant investi finalement que très peu d’argent dans l’affaire. Du côté de TWDC, on continue le chantage à la fermeture. Si financièrement, cela serait finalement peu de choses pour elle d’un point de vue financier, en ce qui concerne l’image de l’entreprise, ce ne serait pas la même chose et Eisner le sait très bien.
C’est pour cela que dans cette partie de poker menteur pour milliardaires, malgré les menaces, la fermeture était une option totalement irréalisable. L’État français ne l’aurait de toute façon pas permis, tout simplement parce que l’investissement public, déjà rentabilisé, ne pouvait mener à une zone fantôme équivalente à 1/5 de la superficie de Paris, et que cela représentait une perte de près de 45 000 emplois directs et indirects.
Euro Disney, parc abandonné ?
Les négociations officielles débutent le 17 février 1994. Sandy Litvack, un cadre de la Walt Disney Company, est choisi pour défendre les intérêts de l’entreprise. Les négociations commencent mal, puisque Litvack claque la porte, suite aux accusations de vol et d’escroquerie, de la part de l’avocat des banques. Après présentation des excuses, les discussions reprennent quelques jours plus tard.
Le rapport demandé par les banques est communiqué le 21 février 1994. Celui-ci dit qu’Euro Disney a besoin de 12 milliards de francs pour survivre. Les experts jugent les prévisions de l’entreprise un peu trop optimistes, mais apportent une appréciation plutôt bonne à la nouvelle politique commerciale lancée par Bourguignon: réduction des prix des hôtels, élargissement de la gamme des produits de merchandising, tarif des billets modulable…
Cependant, les discussions avec les banques n’aboutissent à rien. Les négociateurs américains tentent alors un coup ingénieux, sans en informer la direction de TWDC, de crainte de voir cette proposition immédiatement rejetée ; ils proposent une restructuration qui se ferait à part égale entre Disney et les banques. Les créanciers donnent leur accord, ne reste plus qu’à attendre la réponse d’Eisner.
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Principal créancier de Disney à travers la CDC, l’État français ne veut pas d’une fermeture définitive du site, surtout à quelques semaines de l’inauguration de la gare TGV de Marne-la-Vallée-Chessy.
Du côté de Disney, une certaine paranoïa commence à s’installer. Suite à la publication, dans la presse, d’éléments confidentiels relatifs à la négociation, Eisner et Wells sont persuadés que Burke, Nanula et Litvack sont sur écoute. En effet, le gouvernement français possède ce genre de technologie et il est l’un des principaux créanciers autour de la table des négociations. La Direction de la Disney Company craint de perdre la main. Cette situation tourne à la comédie le 3 mars 1994, lorsque Litvack et Nanula appellent la Direction pour leur faire part de leur proposition à 50/50. Eisner et Wells, pensant être écoutés, font semblant de la rejeter, jugeant qu’elle sera refusée par le conseil d’administration de la compagnie. Litvack est furieux et ne comprend pas cette réaction. Wells envoie alors Burke sur place, pour expliquer aux deux hommes la situation sur les soupçons d’écoute.
Psychose téléphonique à la Walt Disney Company, qui soupçonne l’État français, l’un des créanciers d’EDSCA, d’espionnage
Le 14 mars 1994, le plan de restructuration est finalement présenté aux actionnaires lors de l’Assemblée Générale. Bien qu’elle ne soit pas encore signée, la restructuration est soutenue par les principaux créanciers, à savoir les banques et l’État français. L’accord, très complexe, se caractérise par :
- une augmentation de capital de 5,95 milliards de francs (907 millions d’€uro) ;
- des abandons d’intérêts par les prêteurs, de l’ordre de 1,6 milliards de francs (244 millions d’€uro) ;
- le report du remboursement du principal de la dette sur 3 ans, et des intérêts sur 16 mois ;
- l’abandon de redevances par la Walt Disney Company sur les 5 prochaines années (de 1994 à 1998), et un pourcentage des redevances réduit de moitié sur les 5 années suivantes (de 1999 à 2003) ;
- la réduction de la rémunération de base du gérant (abandonnée pour la période de 1991 à 1998, puis ramenée à 1 % de l’ensemble des produits nets, avec augmentation progressive du pourcentage jusqu’à la valeur maximale de 6 % d’ici octobre 2018) ;
- une vente d’actifs avec option d’achat.
- divers accords financiers avec la Walt Disney Company (souscription d’obligations subordonnées remboursables en actions, annulation de créances, cession-bail de certains actifs, ouverture d’une ligne de crédits…).
La dette totale est ainsi passée de 20,3 milliards de francs (3,095 milliards d’€uro), à 15,5 milliards (2,363 milliards d’€uro).
Si les gros créanciers semblent contents de l’affaire, du côté des petits actionnaires, cela semble bloquer, notamment l’augmentation de capital en « coup d’accordéon », c’est-à-dire, réduction de moitié du nominal des actions Euro Disney, suivie d’une émission d’actions à un prix voisin de l’actuel nominal qui est de 10F. Deminor, association qui regroupe les petits actionnaires, redoute qu’il en résulte une forte dilution de leurs actions. De plus, elle souligne que tout le monde ne fera pas le même sacrifice, en particulier la Walt Disney Company, qui avait émis les titres d’une valeur de 10F, mais les avaient revendus 7 fois plus cher lors de la mise sur le marché. L’assemblée approuve pourtant l’opération, qui permet de dégager une réserve de 850 millions de francs pour éponger les dettes de l’exercice clos le 30 septembre 1994.
Cette réserve résulte à la fois de la réduction de capital, mais aussi de la prime d’émissions provenant cette fois de l’augmentation. Le plan prévoit en réalité deux émissions de titres :
- Une émission d’obligations réservées à TWDC et ses créanciers, assorties de bons de souscriptions d’actions à 44F pendant dix ans.
- Une émission d’obligations remboursables en actions, réservées à TWDC.
Deminor dénonce le fait que le marché soit exclu de cette souscription, qui entraînera une dilution potentielle de quelques 70 millions de titres.https://player.ina.fr/player/embed/CAB94064880/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/600/338/0
Alors qu’Euro Disney est en pleine tempête financière, le Président français, François Mitterrand, et l’ancien Président américain, George Bush, se retrouvent sur le parc pour un repas à l’Auberge de Cendrillon.
L’accord a finalement nécessité des sacrifices de tout le monde, à la fois des banques, et à la fois de la Walt Disney Company, qui se retrouve bien plus impliquée qu’avant dans les comptes de sa filiale, interdisant désormais tout chantage à la fermeture de la part de la maison-mère.
L’un des effets de la restructuration interviendra à partir de début 1995. En effet, jusque-là Euro Disney SCA (ED SCA), gérant du site, louait les installations à Euro Disneyland SNC (ED SNC), propriétaire du parc. De ce fait, le parc n’était amorti qu’en France. Avec la restructuration, un nouvel acteur entre en jeu, en la personne d’Euro Disney Associés SNC (EDA SNC), une société de droit américain, détenue indirectement à 100 % par la Walt Disney Company. Désormais, ED SNC loue le parc à EDA SNC, qui le sous-loue à ED SCA. Ainsi, le parc est à la fois amorti en France par Euro Disneyland SNC, et aux États-Unis, par la Walt Disney Company, via Euro Disney Associés SNC. Le contrat de sous-location liant ED SCA et EDA SNC court sur 12 ans, non résiliable. À la fin du contrat, une option de rachat de 516 millions de francs (78,7 millions d’€uro), permettra à Euro Disney SCA de racheter le contrat de location du parc, directement à Euro Disneyland SNC.
Il faut rajouter à cela, le fait qu’Euro Disney Associés SNC, la nouvelle société intermédiaire, est devenu le propriétaire de certains actifs du parc (attractions, restaurants), construits après l’ouverture de celui-ci. EDA SNC loue donc ces actifs à ED SCA, pour une durée de 12 ans, au bout de laquelle, Euro Disney SCA pourra les acquérir, contre une valeur de 1,4 milliards de francs (213,4 millions d’€uro). Si l’option d’achat n’est pas levée, et qu’un nouveau crédit-bail est reconduit, ED SCA pourra acquérir ces actifs en fin de seconde location, pour une valeur symbolique.
Sandy Litvack, ancien n°2 de la Walt Disney Company, et négociateur en chef dans le cadre de la restructuration de 1994.
Quelques jours après l’annonce de la restructuration, Wells disparaît tragiquement dans un accident d’hélicoptère. Avant sa mort, il reconnaîtra qu’au final, il ne pensait pas que la restructuration d’Euro Disney reviendrait aussi peu cher à TWDC. Il confiera également à Bourguignon une nouvelle conduite à tenir : faire que les actions qu’il entreprend soient à l’avantage de la majorité des actionnaires, et pas uniquement de Disney.
Frank Wells, Directeur Général TWDC, disparaît tragiquement début 1994. Sa mort affectera durablement la Walt Disney Company, qui s’enfoncera dans une crise interne, dont la fin n’interviendra qu’en 2005, avec le départ d’Eisner
Mais pour savoir quels leviers, tangibles et visibles des visiteurs, seront mis en place pour sauver Euro Disney, rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de cette histoire palpitante, où une « montagne de la découverte » apportera un nouveau souffle.