La semaine dernière, vous avez découvert le début de l’aventure Euro Disney. Cette semaine, la saga continue, et vous fera voyager sur 10 ans, de 1992 à 2002, entre deux ouvertures de parcs…
V. Quand le rêve devint cauchemar (1992-1994): Partie 1
En ce premier jour d’ouverture, tout était beau, mais la forteresse Disney commençait déjà à se fissurer. En effet, alors que le parc a ouvert un Dimanche, jour où traditionnellement, il devrait faire le maximum d’entrées, la fréquentation n’est pas au rendez-vous: seulement 20 à 30 000 personnes, pour un parc à la capacité de plus de 60 000 guests par jour.
Bien évidemment, la presse française commence à retourner sa veste, elle qui jusque là, avait défendu le projet. Elle ne parle principalement que des « tarifs exorbitants de Mickey », accentuant ainsi cette image de « destination de luxe ». On peut dire que le clou est enfoncé par François Mitterrand, le Président de la République, qui déclare à propos de Disney que ce n’est pas sa « tasse de thé ».
Alors qu’un mois après l’ouverture, la presse américaine tire déjà la sonnette d’alarme sur la fréquentation, la Direction d’Euro Disney se veut elle, rassurante, mais sans toutefois donner de chiffres. Les attaques se multipliant de toutes parts, et surtout de la part de la concurrence, Robert Fitzpatrick décide de rompre avec la tradition, et annonce une fréquentation de 1,5 millions de visiteurs sur 7 semaines (ce qui logiquement, nous amènerait à une fréquentation d’un peu plus de 11 millions de visiteurs sur la première année, c’est à dire, conforme aux prévisions).
En plus des critiques, Disney doit surtout faire face à de nombreux problèmes, non anticipés lors de la conception du projet. Le premier, ce sont les habitudes alimentaires des Européens, comme la non-vente de boissons alcoolisées au sein des restaurants du parc, qui pénalise pas mal le chiffre d’affaires de ce secteur. De plus, les européens, et surtout les Français, sont de grands amateur de pique-nique, et viennent donc directement avec leur propre nourriture (même si cela est théoriquement interdit par le règlement intérieur du parc). La nourriture est vraiment problématique chez Euro Disney. En effet, pour s’adapter à la clientèle européenne, on avait imaginé des hamburgers plus gros et moins gras que les classiques américains. Le problème, c’est qu’on obtenait un produit beaucoup plus sec, qui ne fut pas du goût de la clientèle. Il fallut donc revoir entièrement la chaîne de production, afin de revenir à des produits plus classiques.
L’autre problème, plus important, ce sont les habitudes vacancières des Européens. Ceux-ci ayant plus de vacances que les Américains, ils ont tendance à consommer moins lors de leurs séjours. Cela provoque un déficit de vente assez massif des produits de merchandising.
Mais l’organisation et les catégories de confort des hôtels Disney vont également poser problème: il a été choisi de construire principalement des hôtels de grands standing. Or, la clientèle européenne recherche principalement des hôtels dits « économiques » dans ses déplacements loisirs, plutôt que de grands palaces. Le Gouvernement, dès 1985, avait déjà averti Disney là dessus, mais visiblement, la souris n’en a fait qu’à sa tête.
Tout ces problèmes d’infrastructure et de gestions conduisent vite à un assèchement des caisses d’Euro Disney.
Hôtels trop grands, et Catégories trop élevées, la Walt Disney Company aurait-elle surestimée le potentiel de son resort européen?
Courant 1992, Robert Fitzpatrick déclare que le projet de second parc, les Disney-MGM Studios, est gelé. Le prix des hôtels est revu à la baisse, afin d’attirer les touristes. Le président d’Euro Disney déclare pour la première fois, qu’à la lumière des premiers résultats, il « n’est pas en mesure d’assurer que la société dégagera un profit en cette première année d’exploitation ». A la suite de ces déclarations, l’action Euro Disney baisse, passant de 120 Francs, à 109,5 Francs, en une séance.
Pour palier au problème de fréquentation, une nouvelle campagne de pub, « La Californie à 32 kilomètres de Paris », est mise en place, le but étant de faire le plein avant fin Octobre, début de la période creuse. Visiblement, cela marche, puisque le mois d’Août 1992 est un très bon mois, avec un taux de fréquentation des hôtels proche de 100%.
A la fin de l’été, la Direction maintient ses estimations de fréquentation pour la première année, et la barre du 6 millionième visiteur est même franchie, faisant d’Euro Disney le parc du groupe ayant attiré le plus de monde lors de sa période de lancement. Philippe Bourguignon, vice-président d’Euro Disney SCA déclare même que les discussions à propos de la phase II ont repris, que l’État a donné son feu vert. Et Fitzpatrick d’ajouter qu’il a reçu une lettre du premier ministre, relative au développement des deuxième et même troisième parcs.
Cependant, côté finance, il y a toujours un problème. Les estimations de remboursement de la dette se révèlent très vite obsolètes. En somme, l’entreprise dépense plus qu’elle ne gagne, et n’arrive pas à retirer un bénéfice assez important pour assurer à la fois son fonctionnement, et le remboursement de sa dette. Une note adressée à Eisner l’informe de la situation. Le président de la Walt Disney Company joue sa crédibilité sur cette affaire. Il est donc mis en place des compressions budgétaires significatives. Cela commence par le non-renouvellement des emplois saisonniers, et le non-remplacement des démissionnaires. Il est également décidé de baisser à nouveau les tarifs des hôtels durant la saison hivernale, afin d’attirer les gens en période creuse. A cela s’ajoute une décision radicale, la fermeture temporaire (d’octobre à Mars) de l’hôtel Newport Bay Club, le plus grand hôtel d’Europe, permettant ainsi d’économiser 20% de capacité hôtelière non-utilisée, avec toutes les charges de fonctionnement que cela implique.
Paradoxalement, Eisner fait maintenir l’enveloppe d’investissement de plus d’un milliard de Francs, prévu avant le début des problèmes de trésorerie. Les 500 premiers millions seront affectés au développement des attractions qui ouvriront en 1993 (Le Pays des Contes de Fées, Casey Jr. le petit train du cirque, Les Pirouettes du Vieux Moulin, Indiana Jones et le Temple du Péril, La Galerie de la Belle au Bois Dormant, Legends of the Wild West).
En septembre 1992, un premier bouleversement a lieu au sein de la Direction. Robert Fitzpatrick perd la charge de PDG pour ne devenir que le Président d’Euro Disney SCA. Philippe Bourguignon prend ainsi le poste de Directeur Général de la société, devenant ainsi le n°2. Certaines mauvaises langues de l’époque diront que c’était un moyen de mettre Fitzpatrick « au placard », dans l’optique d’une transition vers une Direction plus européenne. Et il n’avait pas tout à fait tort, puisque 4 mois plus tard, Fitzpatrick annonce son intention de quitter l’entreprise. C’est alors Bourguignon qui le remplacera, assurant ainsi les fonctions de Président et Directeur Général d’Euro Disney SCA. La passation de pouvoir aura lieu le 12 avril 1993, pour les 1 an du parc.
Entre Robert Fitzpatrick « l’américain », et Philippe Bourguignon « l’européen », c’est deux styles différents qui s’affrontent.
Dans une lettre aux actionnaires, d’octobre 1992, faisant le point sur la situation après 6 mois d’exploitation, la Direction se dit satisfaite de la fréquentation. Cependant, les résultats financiers ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Sans remettre en cause sa politique, la Direction a plutôt tendance à se réfugier derrière la situation économique difficile en Europe, ainsi que sur les multiples grèves ayant affecté la France cette année là. Il est annoncé le report du développement immobilier de la phase II, à cause de la crise immobilière française. L’activité première de l’entreprise sera privilégiée, avec le développement du second parc et d’un parc aquatique. Cependant, aucune date n’est avancée.
Le premier exercice d’exploitation s’acheva en cette fin Septembre 1992 (en réalité, c’est plutôt un demi-exercice d’exploitation) et les résultats tant redoutés tombèrent le 18 Novembre 1992:
De plus, la Direction prévoit des chiffres sensiblement équivalents pour le semestre suivant.
Suite à cela, l’action baisse à nouveau, terminant la séance sur un repli de 7,%. Sur un peu plus de 6 mois, l’action a perdu près de la moitié de sa valeur, passant de près de 150F en Mars 1992, à 68F en Novembre 1992.
Pourquoi le parc ne dégage-t-il pas de profits? La réponse tient en 10 points:
* une fréquentation et un taux d’occupation des hôtels inférieurs aux attentes.
* des dépenses par visiteur plus faibles que prévues
* des charges financières plus lourdes que prévues
* un marché immobilier morose
* un montage financier inadapté en raison du retournement de la conjoncture économique
* une situation économique générale défavorable en Europe
* un taux d’inflation inférieur à celui que la France a connu
* des taux d’intérêt plus élevés que prévus (à 7% contre 3% espéré)
* les Jeux Olympiques de 1992, à Barcelone (Espagne)
* l’Exposition Universelle de 1992, à Séville (Espagne)
Les mois d’hiver se révèlent finalement meilleurs que prévu en terme de fréquentation. On est même obligé de rouvrir deux étages du Newport Bay Club pour faire face à la demande.
Mais du côté des communes du Val d’Europe, une certaine impatience commence à se faire ressentir. En effet, celles-ci ont investi dans de nombreux équipements et infrastructures, mais les travaux de la phase II, qui les concerne directement, ne débutent toujours pas. Pourtant, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Si la population de Chessy n’a pas explosé avec l’arrivée d’Euro Disney, ses recettes fiscales par contre si, avec un budget multiplié par 5,5, pour atteindre les 26 millions de Francs, grâce notamment aux taxes de séjours et foncières. Même son de cloche du côté de Coupvray. Par contre, Magny-le-Hongre, Bailly-Romainvilliers et Serris sont toujours en attente. De plus, les maires de Chessy et Coupvray déposent une plainte devant le tribunal administratif, en raison des nuisances sonores fréquentes, dues aux feux d’artifices tirés par Disney.
Début 1993, la passassion de pouvoir au sein de la Direction va se révéler extrêmement difficile pour les cadres américains. En effet, ceux-ci refusent de suivre les instructions de la nouvelle Direction, prétextant prendre leurs ordres « d’ailleurs » (autrement dit, de la maison mère directement). Bourguignon leur laisse le choix: « soit vous suivez, soit vous rentrez en Amérique ». Trois des cadres récalcitrants décident de partir; ils seront immédiatement licenciés pour faute grave à leur arrivée aux USA. « Dès lors, plus personne n’a trainé les pieds. Et nous avons pu commencer à changer ce qui n’allait pas » dixit Bourguignon. Dans cette difficile tache de redresser la barre, Bourguignon sera constamment assisté de Steve Burke, créateur du concept des Disney Stores, et directeur général du parc.
Toujours en ce début d’année, Richard Nanula, directeur financier de la Walt Disney Company, et Larry Murphy, directeur de la planification stratégique TWDC, s’envolent pour Paris avec une équipe de comptables et d’experts, afin de mesurer la santé financière d’Euro Disney SCA. Et comme ils l’avaient annoncé à Eisner depuis des mois, les prévisions de remboursement volent littéralement en éclat. Pendant 2 mois, ils vont travailler d’arrache-pied avec la Direction d’EDSCA pour mettre en place une stratégie de reprise en mains.
Malgré les mauvais résultats financiers, la fréquentation, elle, semble toujours au beau fixe. Durant plusieurs week-end de Mars et Avril 1993, le parc est même mis en blackout total. On déconnecte même les tourniquets de l’entrée, afin d’éponger le flux massif de guests. Cette fréquentation est le résultat des nouvelles campagnes de promotions, notamment le nouveau billet francilien, qui permet aux habitant d’Île-de-France d’accéder au parc pour 150F/adulte (23€), contre 225F/adulte (34€) au tarif de base. Le 11 millionième visiteur est accueilli quelques jours après le premier anniversaire. Pour attirer les visiteurs de toute l’Europe, la Direction décide de s’adapter à sa clientèle. Ainsi, on fêtera désormais la Saint Patrick, la Sainte Lucie ou le 14 Juillet dans le parc, en plus des traditionnelles fêtes d’Halloween, de Noël et de Pâques.
Mais un problème surgit assez rapidement quant à ce point de fréquentation. En effet, les estimations de pré-ouverture tablaient sur une fréquentation de 11 à 12 millions de visiteurs pour arriver à dégager un bénéfice. Or, au vu des chiffres de la première année, il se révéla vite que ce n’était pas 11 millions, mais 14 millions de visiteurs minimum qu’il faudrait accueillir pour arriver à ce que la société soit viable. Bien évidemment, les infrastructures du parc de 1992 étaient sous-dimensionnées pour accueillir 2 millions de visiteur en plus.
Le Pays des Contes de Fées, Indiana Jones et le Temple du Péril, Les Pirouettes de Vieux Moulin, trois attractions ouvertes en 1993, mais suffiront-elles à attirer assez de visiteurs?