La dernière fois, nous vous avions laissé avec l’ouverture des Walt Disney Studios. Aujourd’hui, nous revenons avec une période moins joyeuse, puisqu’Euro Disney s’enfonce à nouveau dans la crise, 10 ans après la première restructuration.
IX. A Nightmare before… Crisis (2002-2005):
Dans le rapport d’activité de l’année 2002, Jay Rasulo note que le lancement des Walt Disney Studios a été un « véritable succès » pour le groupe. « Avec 13,1 millions de visiteurs, et un taux d’occupation des hôtels de 88,2%, le groupe réalise sa meilleure performance depuis l’ouverture d’Euro Disney en 1992 ». Il est vrai que dès ses premiers mois d’exploitation, le nouveau parc se classe second parc d’attraction en France en terme de fréquentation.
Mais derrière les données touristiques, les résultats financiers sont très mauvais. Avec une perte de 33,1 millions d’€uro en résultat net, c’est la première fois depuis 1994, que le groupe repasse dans le rouge. Rasulo explique ce résultat par les frais de pré-ouverture du second parc et estime que dès le prochain exercice, il devrait revenir dans le vert.
Sous cet optimisme lattant, la réalité est toute autre. En effet, les Walt Disney Studios déçoivent beaucoup et pas seulement les visiteurs. Alors que l’on attendait près de 4 millions de visiteurs sur les 6 premiers mois, seulement la moitié (2,2 millions) ont réellement franchi les grilles. Pire, le Disneyland Park perd même des visiteurs cette année là, sa fréquentation passant de 12,2 à 10,9 millions de visiteurs.
Au lieu de se compléter, les deux parcs se cannibalisent mutuellement. C’est une première, puisqu’alors que les ouvertures de Tokyo Disney Sea et de Disney’s California Adventure avaient apporté une hausse de la fréquentation de 32% et 25%, celle des Walt Disney Studios n’a amené qu’une hausse de 7%.
Visiblement, les américains semblent ne pas avoir appris des erreurs du passé et 10 ans plus tard, ils ont recommencé ce qu’ils avaient fait en 1992 : imposer une vision américaine sur un public européen, qui n’a pas les mêmes modes de consommation qu’outre-Atlantique.
Les Walt Disney Studios ne sont pas à la hauteur des attentes. Au lieu d’aider l’entreprise dans sa croissance, ils sont un nouveau boulet à la cheville d’Euro Disney.
La situation dans laquelle est la société ne permet pas d’investir dans de nouvelles attractions pour améliorer l’offre du second parc. Il faut donc rentabiliser au maximum les attractions. Pour cela, un plan de sauvegarde sur 3 ans, les « 5P », est mise en place:
* Performance: tous les secteurs de la société (tourisme et immobilier) doivent faire des efforts pour générer des revenus plus importants.
* Productivité: contrôler les coûts pour dégager une meilleure marge opérationnelle.
* Produit: maintenir la qualité du produit Disney, car c’est lui qui différencie la société de ses concurrents.
* Partenariat: développer des collaborations avec les autres professionnels du tourisme, comme les tours-opérateurs, la ville de Paris…
* Professionnalisme: mise en place d’un nouveau programme de formation des Cast-Members, pour une meilleure productivité de la masse salariale.
Pour ajouter à la confusion la plus totale, en septembre 2002, Rasulo démissionne de ses fonctions de PDG d’Euro Disney SCA, suite à sa nomination au poste de Président de la division Parks & Resorts de la Walt Disney Company. Pendant près d’un an, la société va ainsi rester sans présidence. On est même obligé de reporter l’Assemblée Générale à Mai 2003, dans l’attente d’une nomination. C’est finalement le 28 Mars 2003 que TWDC annonce l’arrivée d’André Lacroix à la présidence d’Euro Disney SCA, mais celui-ci ne prendra ses fonctions qu’à partir du 1er Juillet 2003.
Entre Jay Rasulo et André Lacroix Euro Disney se retrouve sans président près d’un an. Une situation ubuesque, qui n’est pas pour améliorer l’image de la société.
Pour relancer la machine, Lacroix commence par appliquer une nouvelle démarche marketing. Le but est de faire venir les visiteurs n’ayant jamais mis les pieds sur le resort, les fameux First Timers. Pour cela, une campagne de pub européenne, « Need Mag?c » est mise en place, en respectant les diverses spécificités de chaque pays. Parallèlement à cela, les événements saisonniers subissent une mise à jour, afin de les rendre à nouveau attractifs; et un nouveau restaurant, le King Ludwig’s Castle, ouvre au Disney Village. Le Disneyland Park se voit également doté d’une nouvelle parade nocturne, la Disney’s Fantillusion Parade, qu’il a acquise auprès de Tokyo Disneyland.
Lacroix va également mettre en place d’une nouvelle politique RH qu’il applique depuis des années, la « pyramide inversée ». Le but étant d’écouter les propositions de la base et d’appliquer les meilleures dans l’entreprise. Cela aboutira aux « summers camps » de Septembre 2003, auxquels 4000 Cast-Members participeront.
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Avec la campagne « Envie de Mag?e », la Direction cherche surtout à attirer les First Timers.
Les ennuis financiers de la société recommencent vraiment à partir de Mars 2003. A cette date, Euro Disney annonce officiellement à la Walt Disney Company, qu’elle ne sera pas en mesure de lui verser de rémunération cette année. Les problèmes se poursuivent en Août de la même année, avec la publication des résultats catastrophiques du troisième trimestre. Lacroix annonce directement que sans négociation, la société ne sera pas en mesure de répondre à ses obligations financières, notamment celles concernant la dette de l’entreprise.
La Direction et la Walt Disney Company mettent ces mauvais chiffres sur la situation touristique désastreuse de 2003 (grèves en France, guerre en Irak, menace du SRAS, canicule de l’été). Mais pour les analystes financiers des créanciers, c’est plus la stratégie générale du groupe, et principalement l’échec du second parc, qui est responsable de cette situation.
Entre Septembre et Octobre, des tables rondes se tiennent entre la Direction d’Euro Disney SCA et ses principaux créanciers. Début Novembre 2003, le groupe obtient de ses prêteurs des renonciations de certains engagements financiers, valable jusqu’à la fin Mars 2004. Le groupe aura donc 5 mois pour trouver une solution à cette nouvelle crise financière.
Malgré ces nouveautés, le groupe n’arrive pas à remonter la pente. Il doit donc restructurer à nouveau sa dette ainsi que son organisation interne.
Parallèlement à cela, la Walt Disney Company s’enfonce elle aussi dans la crise, mais pas d’ordre financier, plutôt de leadership. Cela commence le 20 Novembre 2003, avec la démission de Roy E Disney, de ses fonctions au sein de la société. En effet, depuis des années (en fait, depuis la mort tragique de Wells en 1994, des divergences de gestion et de politique interne, sont apparues entre les Eisner et Disney). Il sera suivi par son ami Stanley Gold. Pendant des mois, les deux hommes feront un lobbying énorme pour tenter de destituer Eisner.
En plus de cela, la Walt Disney Company doit faire face à une OPA hostile, lancé par Comcast, dont le président de la division n’est autre que Steve Burke, créateur du concept des Disney Stores et ancien Directeur Général d’Euro Disney resort. Si Comcast réussi son coup, alors le dernier grand studio indépendant d’Hollywood subirait le même sort que ses rivaux. Face à ces menaces, Diane Disney Miller, la fille de Walt, sort de sa réserve naturelle et demande au conseil d’administration de refuser cette OPA.
Enfin, pour compléter la liste des problèmes, Pixar a décidé de ne pas renouveler son accord de distribution avec la Walt Disney Company, suite à des divergences dans le contrat. Le studio d’animation cherche donc un nouveau distributeur moins gourmand que l’actuel.
Début Mars 2004, vient enfin le moment de l’Assemblée Générale de la Walt Disney Company. Celle-ci se déroule dans une ambiance électrique. Contre toute attente, Eisner a autorisé Disney et Gold à s’exprimer pendant 30 minutes. Sous un tonnerre d’applaudissement, les deux hommes vont reprendre leur bataille contre l’actuelle direction et redemandent une nouvelle fois, la démission immédiate d’Eisner. Lorsque viendra le moment des votes en fin d’Assemblée, 43% des actionnaires participants choisirent de ne pas reconduire Eisner, une première dans l’Amérique capitaliste, pour une société dont les résultats sont largement positifs.
Suite à cela, le Conseil d’Administration de la Walt Disney Company décide une réorganisation de la Direction: Eisner n’est plus le PDG, seulement le Directeur Général de TWDC. Mais sous les multiples pressions, il finira par démissionner un an plus tard, un an avant la fin de son mandat.
Quelques mois après l’AG, sous la pression de l’opinion américaine, Comcast finira par abandonner son OPA à l’encontre de Disney.
L’année 2004 fut une année tendue pour Eisner et la Walt Disney Company, puisqu’ils doivent faire face à la démission de Roy E Disney, à une OPA hostile, et la fin du partenariat avec Pixar.
Pour Euro Disney SCA, l’année 2004 aura été « l’annus horribilis ». La fréquentation retombe à 12,4 millions de visiteurs, le taux d’occupation des hôtels baisse pour la première fois depuis des années et le résultat net s’enfonce encore plus dans le rouge, avec une perte de 145,2 millions d’€uro. Malgré cela, le groupe a investi dans un nouveau spectacle pour la salle Vidéopolis, La Légende du Roi Lion.
Les pourparlers sur la restructuration financière et juridique du groupe s’éternisent jusqu’au 28 Septembre 2004, à deux jours de la date butoir à partir de laquelle les créanciers auraient pu exiger le remboursement anticipé de la dette et entraîner ainsi la société vers le dépôt de bilan.
Lors de l’Assemblée Générale du 25 Mars 2004, les actionnaires d’Euro Disney autorisent le gérant à procéder à une réduction de la valeur nominale de chacune des actions de la société, dans l’optique d’une nouvelle augmentation de capital. Le 9 Juillet de cette même année, la valeur nominale du titre passe ainsi de 0,76€ à 0,01€.
En pleine tourmente, le spectacle La Légende du Roi Lion fait son apparition, pour le plus grand plaisir des spectateurs.
La restructuration de 2005 a plusieurs objectifs, dont les principaux sont de permettre d’apporter de nouvelles ressources financières au groupe, de réduire et rééchelonner la dette, afin d’assurer plus de flexibilité au groupe pour lui permettre d’investir dans le développement du site et de ses environs. Les principaux éléments du protocole d’accord sont les suivants:
* Réaliser une augmentation de capital d’une valeur de 250 millions d’€uro minimum, souscrite en partie par la Walt Disney Company, le reste devant être souscrit par un syndicat bancaire sous certaines conditions.
* L’octroi par TWDC à Euro Disney SCA, d’une nouvelle ligne de crédit de 150 millions d’€uro, sur une durée de 10 ans, renouvelable. La ligne de crédit sera réduite à 100 millions d’€uro à partir du 1er Octobre 2009.
* Report du remboursement de la dette, en partie de façon conditionnelle et en partie de façon inconditionnelle. En échange, les taux d’intérêt seront revus à la hausse.
De plus, les créanciers concèdent l’abandon de l’obligation pour le groupe de constituer des dépôts de garanties. Les dépôts déjà constitués servant à rembourser directement une partie de la dette.
* Report de la rémunération du gérant et des redevances de licences à la Walt Disney Company, de façon inconditionnelle (jusqu’à 25 millions d’€uro par exercice, entre 2005 et 2009) et conditionnelle (jusqu’à 25 millions d’€uro par exercice, entre 2007 et 2014), en fonction des performances du groupe. Le groupe aura la possibilité de convertir les rémunérations et licences en dette subordonnée à long terme.
* Octroi des autorisations pour permettre au groupe de lancer un plan d’investissement de 240 millions d’€uro sur 5 ans, financé par l’augmentation de capital citée ci-dessus.
* Réalisation d’une économie de 308,1 millions d’€uro de paiement par la société à Euro Disney Associés SNC (EDA SNC). Pour que le groupe conserve ses droits sur la marque Disney et certaines attractions appartenant à EDA SNC, ce paiement était impératif. Afin de pallier à ce problème, une restructuration juridique est mise en place. EDA SNC devient Euro Disney Associée SCA (EDA SCA), et récupère l’ensemble des actifs et passif d’Euro Disney SCA (ED SCA). En échange, ED SCA acquiert 82% du capital d’EDA SCA (les 18% restant étant détenu indirectement par la Walt Disney Company, via deux sociétés).
Nouvel organigramme du groupe, suite à la restructuration de 2005.
Pour répondre aux obligations de la restructuration, Euro Disney SAS, une filiale détenue à 100% par la Walt Disney Company, devient ainsi le gérant d’Euro Disney Associé SCA, qui est elle-même le gérant du complexe. Euro Disney SCA n’est donc plus la société gérante du site, mais une Holding, dont la principale activité est de détenir des parts dans la nouvelle société gérante.
De son côté, après 10 ans de présence dans le groupe, le Prince Al-Waleed possède toujours 17% des actions du groupe. Certains journalistes financiers se demandent pourquoi le Prince est toujours confiant après deux restructurations. Mais celui-ci reste toujours très vague dans ses réponses, jugeant que le groupe finira par arriver à dégager des profits, mais que son principal problème, ça reste sa colossale dette.
Suite à la restructuration, la dette du groupe passe de 2,45 milliards à 2,05 milliards d’€uro. La participation de la Walt Disney Company au capital d’Euro Disney SCA a été ramenée de 40,6% à 39,8%. De plus, TWDC s’est engagée à détenir au minimum, 39% du capital du groupe, jusqu’en 2016, contre 16,7% auparavant. La participation du Prince Al-Waleed a pour sa part été réduite à 10%.
Avec les 240 millions d’€uro dégagés par la nouvelle augmentation de capital, le groupe allait enfin pouvoir repartir sur des bases plus solides, afin de préparer dignement le 15ème anniversaire du resort.
Suite à l’augmentation de capital, un plan de relance sur 4/5 ans est mis en place, afin de redynamiser le resort.