Après deux mois de pause, nous voici finalement de retour pour le dernier article de cette série où nous vous avons proposé de découvrir ou de redécouvrir la grande épopée de l’Histoire de Disneyland Paris et de sa maison mère, Euro Disney SCA. Dans l’épisode précédent, nous avions couvert la période allant du 15ème au 20ème anniversaire, une période qui, une nouvelle fois, avait été faite de hauts et de bas. Dans cette dernière partie, nous nous intéresserons donc aux cinq dernières années, pour conclure sur quelques perspectives d’avenir, à l’approche de la clôture de l’OPA lancée par la Walt Disney Company sur le groupe français Euro Disney SCA.
2012-2017: Fin de la partie?
Courant 2011, le gérant d’Euro Disney SCA, représenté par Philippe Gas, se trouve dans une situation bien embarrassante. En effet, alors que le 20ème anniversaire de la destination approche rapidement, il n’est toujours pas parvenu à débloquer les fonds devant permettre au groupe d’investir dans sa nouvelle attraction, les créanciers du groupe bloquant toute augmentation de la capacité d’investissement du groupe, en raison d’un retour de mauvais résultats financiers. Finalement, début janvier 2012, une ligne de crédit supplémentaire de 150 millions d’€uros est accordée par la Walt Disney Company (TWDC) à sa filiale française, permettant de rassurer les créanciers sur la capacité d’Euro Disney SCA à rembourser sa dette, ce qui autorise ainsi le groupe français à pouvoir augmenter ses investissements, et donc lancer un projet de nouvelle attraction.
Le projet retenu, qui prendra place aux Walt Disney Studios, dans la prolongation de Toy Story Playland qui avait ouvert en 2010, est celui d’un parcours scénique (dark-ride) de nouvelle génération, sur le thème du film Ratatouille, de Pixar. Outre l’attraction, l’ensemble comprendra également un restaurant en service à table, ainsi qu’une boutique, le tout dans un nouveau «mini-land», La Place de Rémy. Malheureusement pour le groupe, tous ces atermoiements avec ses créanciers auront fait perdre deux ans au projet, dont les travaux débutent seulement début 2012, année du 20ème anniversaire de la destination, et des 10 ans des Walt Disney Studios.
Avec des contraintes budgétaires très importantes, le 20ème anniversaire n’est pas pour ainsi dire, l’anniversaire qui sera resté dans les mémoires. In fine, les festivités proposées sont peu nombreuses, et s’appuient essentiellement sur l’existant (Le Petit Train des Personnages Disney qui revient dans une n-ième version, le spectacle saisonnier Tarzan – La Rencontre qui revient pour une ultime saison, tout comme la Disney’s Fantillusion Parade), ou ce qu’il en reste… la division Spectacle du groupe étant réduite à son strict minimum, et cela n’ira qu’en empirant les deux années suivantes.
Deux nouveautés majeures sont toutefois à noter. La première est la «nouvelle» parade diurne, la Magie Disney en Parade. Bien que présentée comme une nouveauté, la Magie Disney en Parade n’en reste pas moins qu’une adaptation de la parade introduite à l’occasion du 15ème anniversaire. L’ordre des chars et la musique changent, l’unité des méchants est retirée, le char de la seconde unité des princesses est réattribué aux personnages Classiques Disney, et l’ancien char de ses derniers devient le char des Magiciens Disney. Outre le fait d’être raccourci, le temps de la parade est également diminué, avec la suppression des «show-stop»
La seconde nouveauté est pour le coup quelque chose de vraiment inédit pour Disneyland Paris, et reste comme LA bonne surprise des festivités du 20ème anniversaire. Il s’agit bien entendu du spectacle nocturne Disney Dreams! Combinant les technologies du mapping vidéo (une première dans un parc Disney), du spectacle de fontaines-lasers et de la pyrotechnie (déjà testé par les parcs américains avec les spectacles nocturnes Fantasmic! et World of Color), Disney Dreams! transportait les visiteurs dans une expérience totalement nouvelle pour la destination française. Nous étions ainsi invités à suivre l’Ombre de Peter-Pan à travers différentes scènes de grands classiques Disney-Pixar.
Malgré des résultats positifs en matière touristique, avec un record de fréquentation à 16 millions de visiteurs, le résultat financier de l’exercice 2012, est une nouvelle perte de prêts de 100 millions d’€uros. Celle-ci s’explique par une explosion des charges due aux opérations d’investissement, et une moindre progression du chiffre d’affaires. Mais les points les plus inquiétants, ce sont les chutes du résultat d’exploitation d’une part, et de la trésorerie d’autre part, qui permettent de mesure la performance économique et les perspectives à court terme de l’entreprise, hors charge de la dette. Le véritable problème d’Euro Disney commence à se voir de plus en plus, et il devient moins aisé à la Direction du groupe de noyer le poisson: le problème du groupe n’est pas sa dette, c’est son modèle économique.
Afin de sécuriser le devenir de sa filiale vis-à-vis des tiers, la Walt Disney Company annonce le 18 septembre 2012, la mise en place d’un plan de refinancement de la dette d’Euro Disney SCA, à hauteur de 1,332 milliard d’€uro. TWDC devint ainsi le seul et unique créancier de sa filiale française, et enclencha ainsi la série de mécanismes financiers qui nous conduit à la situation d’aujourd’hui, l’OPA. Mais que les choses soient claires, cette opération de refinancement n’a absolument rien coûté à la maison mère, bien au contraire. En effet, pour assurer le remboursement des créanciers d’Euro Disney SCA, TWDC a emprunté de cette somme d’argent, à un taux très préférentiel. Cet argent emprunté, il a ensuite été prêté, et non donné, à Euro Disney SCA, à un taux supérieur à celui auquel la maison mère l’a eu. Elle s’assure ainsi une plus-value sur l’argent emprunté par sa filiale française, en plus de frais de gérance et de licence que lui paie déjà annuellement le groupe. En somme, TWDC a agi comme un organisme bancaire de refinancement auprès d’Euro Disney SCA (les fameux organismes qui vous proposent de vous racheter vos crédits), et non comme une maison mère assurant le bon fonctionnement d’une filiale en difficulté.
À côté de ces histoires financières, Euro Disney poursuit sa politique de diversification. Ainsi, courant 2012, le groupe annonce un partenariat avec la Ligue Nationale de Basket pour la tenue de la Disneyland Paris Leader Cup, le tournoi de mi-saison des clubs français professionnels de Basket. L’événement se tient tous les ans à la même période, depuis février 2013.
En plus de la première édition de la Disneyland Paris Leader Cup, l’année 2013 est marquée par la prolongation des festivités du 20ème anniversaire. Mais restriction budgétaire oblige, cette année ne verra ni le retour de la Disney’s Fantillusion Parade (dès lors, Disneyland Paris ne propose plus de parade nocturne), ni celui de Tarzan – La Rencontre. En «compensation», Disney Dreams! profite d’une première modification: les scènes sur Mary Poppins et le Livre de la Jungle sont remplacées par celles du Roi Lion et de Rebelle, tandis que les Disney’s LightEars font leur apparition. Malheureusement, ce dernier produit ne connaîtra pas le succès escompté.
Enfin, avec la fin des 20 ans en septembre 2013, Disneyland Paris renoue avec les saisons. Exit donc les années de célébration que le parc avait connues de 2007 à 2013, et place au retour des saisons à thème. Celles-ci sont totalement réinventées, à commencer par Halloween et Noël qui, outre de nouvelles décorations, proposent en sus des spectacles et animations de rigueur, des mini-parades de saison. La saison de Noël va même plus loin, en proposant une version spéciale Noël du spectacle nocturne du parc, avec Disney Dreams Fête Noël! Cette mise en place des festivités de saison se poursuivra en 2014 avec le retour d’une saison du Printemps, le Swing Into Spring. Le programme des saisons sera petit à petit étoffé de 2013 à 2016, avant une refonte complète de celles-ci à partir de 2017/2018.
En dehors des parcs, les choses bougent également, à commencer par le Disney Village. Après l’ouverture du World of Disney en juin 2012 à l’occasion du 20ème anniversaire, une célèbre franchise de petites briques ludiques annonce début 2013 son intention d’implanter une boutique au cœur du centre de divertissement de Disneyland Paris. Prévu pour septembre 2013, ce premier LEGO Store de la région parisienne connaîtra malheureusement quelques déconvenues à quelques jours de son ouverture (une chute du fond-plafond de la boutique sur la clientèle, c’est pas forcément très bien vu), et n’ouvrira finalement ses portes qu’en mars 2014.
En septembre 2013, la première phase du plan rénovation des Hôtels Disney s’achève avec la mise en place des services premium Golden Forest au Sequoia Lodge. Quelques semaines plus tard, courant novembre, la phase 2 de ce plan pluriannuel débute avec l’imposant chantier de rénovation du Newport Bay Club, le plus grand hôtel du groupe, et l’un des plus grands d’Europe. Il durera un peu plus de trois ans, et métamorphosera totalement cet hôtel, qui pour le coup obtiendra une quatrième étoile fin 2016.
Enfin, la fin de l’année 2013 est aussi marquée par le début des travaux de construction de Villages Nature… ou tout du moins les premiers défrichements et terrassements. Annoncée successivement en 2014, puis 2015, puis 2016, l’ouverture de ce centre de villégiature de nouvelle génération, et gérée par Center Parcs, se fera finalement pour l’été 2017, après un peu plus de trois ans et demi de chantier.
2014 marqua le retour des grandes rénovations, après la pause induite par les festivités du 20ème anniversaire, et hors construction de la nouvelle attraction des Walt Disney Studios. La première attraction à passer au banc des réhabilitations d’importance est Indiana Jones et le Temple du Péril, durant tout le premier semestre de cette année 2014. Pour la première fois, depuis longtemps, il s’agira d’une rénovation à la fois technique et esthétique. En effet, depuis quelques années, la décoration du temple est recouverte de filets de sécurité, en raison de risque d’effondrement de la structure sur elle-même. De plus, il est apparu avec le temps une importante usure des rails au niveau du lopping de l’attraction, imposant un remplacement complet de cette partie de la voie. Au final, cette rénovation se révèlera très réussie sur tous les plans, mais le temps semble malheureusement donner tort à cette affirmation pour ce qui concerne la partie relative à la structure même du temple.
Après une phase de test fin 2013, la rénovation des Fantasia Gardens débute pleinement début 2014. Là aussi, il s’agit d’un chantier au long court, qui s’étalera sur presque trois années. En effet, difficile de fermer totalement cet espace qui constitue l’unique point de passage pour entrer au Parc Disneyland. Il a fallu donc procéder petit à petit, en premier lieu autour du Disneyland Hôtel, puis dans les jardins à proprement parler. Mais l’attente a toutefois été à la hauteur, tant le résultat de cette rénovation est tout bonnement spectaculaire, et magnifie littéralement l’entrée du Parc Disneyland.
Le second trimestre 2014 voit également le début de construction d’un tout nouvel hôtel partenaire de Disneyland Paris, sur le secteur du Val de France. Il s’agit d’un établissement économique du groupe B&B Hôtel. Cet hôtel, dont les travaux durèrent jusqu’en novembre 2015, est devenu le vaisseau amiral de la marque bretonne. Comme pour l’ensemble des autres hôtels du Val de France, l’architecture du bâtiment s’inspire des grandes demeures briardes.
Mais revenons aux parcs, au plus précisément aux Walt Disney Studios, qui profitent également de rénovations importantes sur la première moitié de l’année 2014. C’est notamment le cas de Flying Carpet over Agrabah, et de son voisin Crush’s Coaster. En effet, depuis son ouverture en 2007, l’attraction inspirée du Monde de Némo est victime de son succès, et il n’est pas rare que la file d’attente déborde littéralement dans l’oasis d’Aladdin et Jasmine. Pour remédier à cela, la file d’attente de Crush’s Coaster est littéralement densifiée dans sa partie existante, et une nouvelle entrée accompagnée d’une extension permanente de la file, sont aménagées sur une partie de l’oasis, afin de faciliter la séparation des flux de visiteurs. Ces travaux seront aussi l’occasion d’installer une file single rider à la montagne russe du Studio 5.
Enfin en juin 2014, Spider-Man débarque du côté de Backlot, avec une photolocation à son image, qui prend place dans une partie désaffectée du Blockbuster Café. Il devient ainsi le premier personnage Marvel à intégrer officiellement un parc Disney en tant que personnage que les visiteurs peuvent rencontrer.
Outre l’Araignée, cette année 2014 permet enfin d’accueillir un rat gourmet, avec l’ouverture tant attendue de la Place de Rémy, le 10 juillet 2014, en présence de la Ministre de la Culture de l’époque, Fleur Pélerin, et du président de la Walt Disney Company, Bob Iger. Ce nouveau mini-land, qui prend place entre Toy Story Playland et Imagination, le bâtiment du costuming, se compose d’une rue et d’une place arborée et végétalisée, de l’attraction Ratatouille – l’Aventure Totalement Toquée de Rémy (un dark-ride en 3D de dernière génération), d’un restaurant attenant à l’attraction, le Bistrot Chez Rémy, et d’une boutique un peu plus éloignée, Chez Marianne – Souvenir de Paris. D’un coût estimé entre 150 et 200 millions d’€uro, cette nouvelle extension des Walt Disney Studios est clairement une réussite… tout du moins à ses débuts. En effet, avec le temps, force est de constater que l’attraction en elle-même vieillit plutôt mal, en raison principalement de sous-investissements chroniques du groupe dans la maintenance quotidienne de ses attractions. Or, l’attraction utilisant beaucoup de moyens technologiques modernes, elle demande forcément plus d’attention et de budget… ce qui ne semble pas avoir été pris en compte par les concepteurs et les décideurs.
Mais restons pour le moment en 2014. Alors que Ratatouille vient juste d’ouvrir, c’est avec stupéfaction qu’il est annoncé le 1er août 2014, le remplacement de Philippe Gas à la tête du groupe Euro Disney. Après 7 ans de bons et loyaux services, un record pour Euro Disney depuis Gilles Bourguignon, Philippe Gas est envoyé gérer le chantier d’ouverture du nouveau complexe touristique de la Walt Disney Company, Shanghai Disneyland. Pour lui succéder, la maison mère a choisi Tom Wolber, un ancien responsable de Walt Disney World et de Disney Cruise Line. La période de transition est courte, puisque la passation entre les deux hommes se déroule en septembre de la même année.
Quinze jours après sa prise de fonction, on comprend plus facilement pourquoi il fallait exfiltrer le soldat Gas dans l’urgence. En effet, son successeur annonce le 6 octobre la mise en place d’un nouveau plan de recapitalisation, le 4ème en un peu plus de 20 ans, soutenu par TWDC, à hauteur d’un peu plus d’un milliard d’€uros. C’est la situation économique d’Euro Disney SCA qui précipite les choses. En effet, à la fin de l’exercice fiscal 2014, l’ensemble des indicateurs touristiques et économiques plonge. Mais, point le plus grave, la trésorerie du groupe est sur le point de retomber dans le rouge, ce qui signifie qu’elle ne sera plus capable d’assurer les paiements courants, notamment vis-à-vis de ses fournisseurs extérieurs. Il faut donc lui apporter du cash. Or, le plan de refinancement de la dette de 2012 ayant conduit à sortir les banques de l’équation, et au regard de l’endettement du groupe, il lui est impossible de recourir à un nouvel emprunt.
Cette recapitalisation importante en termes de volume financier, a été réalisée en 2 étapes :
une augmentation de capital classique, par émission de nouvelles actions au prix d’1€, qui permet de dégager 420 millions d’€uros ;
une conversion de la dette en actions nouvelles, au bénéfice exclusif du seul et unique créancier du groupe, la Walt Disney Company, qui permet de dégager les 600 millions d’€uros restants.
Cette opération fait mécaniquement monter la part de TWDC dans sa filiale, passant ainsi de 39% de détention du capital, à plus de 80%. Pour éviter de pénaliser les autres actionnaires, un mécanisme anti-dilution est mis en place, et permet aux autres investisseurs d’acquérir une partie des nouvelles actions émises par la conversion de créances, au prix d’1,25€. À la fin des opérations, la maison mère détient ainsi environ 75% du capital d’Euro Disney SCA. Sur le milliard d’€uros dégagé par cette recapitalisation, 3/4 servent à diminuer la part de la dette du groupe français, tandis que les 250 millions d’€uros restants permettent de renflouer la trésorerie. Le cours de l’action tombe à 1€ (soit 1 centime si l’on fait abstraction du regroupement de titre qui a eu lieu quelques années plus tôt). Pour aider sa filiale, la maison mère consent à un nouveau report du remboursement de la dette restante, exigible à partir de 2024 contre 2018 au préalable. De plus, une nouvelle ligne de crédit renouvelable d’un montant de 350 millions d’€uros maximum, est ouverte par TWDC pour EDSCA, en remplacement des anciennes lignes de crédit. Pour rappel, cette ligne de crédit sert uniquement en cas de coup dur financier pour le groupe français, et non pour assurer le financement des investissements.
Organisation de la gouvernance et de l’actionnariat du Groupe, avant (à gauche) et après (à droite) l’opération de recapitalisation
Cet n-ième plan de sauvetage d’Euro Disney SCA attire l’attention d’un nouvel acteur, le fonds d’investissement CIAM, qui profite de l’augmentation de capital pour acquérir un peu plus d’1% des parts du groupe. Ce fonds dénonce publiquement la mauvaise gestion du groupe français, qui se fait uniquement au bénéfice de l’actionnaire principal, The Walt Disney Company, devenu majoritaire grâce à cette nouvelle opération. Le fonds tente de faire annuler une partie de la recapitalisation auprès de la justice, mais sans succès. Il estime que le prix de l’action a été sous-évalué lors de l’augmentation de capital, notamment par une sous-évaluation du potentiel foncier à la disposition du groupe (les fameux terrains couverts par les dispositifs de la Convention de 1987, mais qui ne sont pas encore aménagés). Une seconde plainte est déposée auprès du tribunal du commerce de Meaux, une plainte contre la Walt Disney Company, et au bénéfice d’Euro Disney SCA. Le fonds CIAM dénonce un about de position dominante de la part de Burbank, ainsi que les conventions liant la maison mère à sa filiale, et réclame le remboursement d’environ 1 milliard d’€uros de frais trop perçus par la TWDC depuis l’ouverture du complexe. À ce jour, l’affaire est toujours en cours.
Anne-Sophie d’Andlau et Catherine Berjal, co-fondatrices de la société de gestion française CIAM