Le 14 mars, Walt Disney Pictures nous proposera avec Un Raccourci dans le Temps, son premier film de l’année 2018. Et pour la première fois depuis trois ans, il s’agit d’un film « original », à savoir qu’il ne s’agit ni d’une suite d’un film existant, ni d’un remake, mais d’une adaptation du roman éponyme de Madeleine L’Engle. Alors bon ou mauvais choix d’adaptation de la part de Disney pour son retour à une production originale ? On vous livre sa critique de ce voyage à travers l’espace-temps.
S’il n’est pas très connu en dehors de son pays d’origine, le roman Un Raccourci dans le Temps est un véritable best-seller aux États-Unis. Écrit en 1962 par Madeleine L’Engle, le livre est un tel succès qu’il remporte la Médaille Newbery (l’équivalent du prix Goncourt pour la littérature jeunesse au pays de l’Oncle Sam), et devient un incontournable de la littérature scolaire en Amérique. Premier tome d’une série de cinq romans sur les aventures de la famille Murry, Un Raccourci dans le Temps est également un livre pionnier dans ce qui constitue aujourd’hui la littérature pour adolescents, dont les sagas Harry Potter, Twilight ou Hunger Games représentent les nouvelles références du genre.
Au même titre que d’autres saga littéraires, le Cycle de Kairos (le nom officiel de la saga dont Un Raccourci dans le Temps constitue le premier livre) a pendant longtemps été jugé in-transposable au cinéma. Il faut ainsi attendre le début des années 2000 pour voir Dimension Films, filiale de Miramax (alors filiale elle-même de la Walt Disney Company), proposer une première adaptation télévisuelle qui sera diffusée sur Disney Channel en 2003, sous le titre Les Aventuriers des Mondes Fantastiques. Mais malheureusement, cette première tentative se révèle complètement ratée, de l’aveu même de Madeleine L’Engle.
Quand, au début des années 2010, Disney remet la main sur les droits du romain de Madeleine L’Engle, la tâche n’était donc pas simple pour les personnes qui auraient la charge de procéder à son adaptation. Après quelques années de flottement, c’est finalement à la nouvelle star du studio, la réalisatrice et scénariste Jennifer Lee (Les Mondes de Ralph, La Reine des Neiges, Zootopie), épaulée par Jeff Stockwell (Le Secret de Terabithia) que revient cette tâche. Et sur ce point, il semble que le duo de scénaristes s’en soit bien tiré, en proposant une adaptation très fidèle à l’œuvre, moyennant quelques ajustements pour ancrer l’histoire dans notre monde contemporain, et non plus dans les années 1960.
Comme la plupart des collégiens, Meg Murry manque d’assurance et tente de trouver sa place. Très intelligente (ses parents sont des scientifiques mondialement connus), elle possède, tout comme son petit frère Charles Wallace, un don rare qu’elle n’a pas encore exploité. La disparition inexpliquée de son père va l’amener à faire la connaissance de trois guides, Mme QUIDAM, Mme QUI, et Mme QUIPROQUO, venues sur Terre pour l’aider à le retrouver. Accompagnées de Calvin, un camarade de classe, ils trouvent au cours de leur quête un raccourci spatio-temporel les entraînant vers des mondes insoupçonnés sur lesquels règne un personnage maléfique…
Un Raccourci dans le Temps, c’est donc avant tout l’histoire de Meg Murry, une jeune collégienne qui n’arrive pas à faire le deuil de la mystérieuse disparition de son père quatre ans plus tôt, et dont le monde va se retrouver complètement bouleversé par l’arrivée dans sa vie des trois Madame qui lui apprennent que son père est toujours en vie et qu’elles ont besoin d’elle pour le retrouver, afin qu’il les aide à sauver l’univers de la menace du Ça de Camazotz. Mais sous l’aspect de la quête spatio-temporelle pour sauver son père, le voyage de Meg est aussi un voyage intérieur, qui doit ainsi lui permettre de reprendre confiance en elle et en ses capacités, afin simplement de pouvoir vivre à nouveau. Pour incarner cette adolescente en pleins tourments, la production a retenu la jeune Storm Reid (12 Years a Slave) qui, sans être brillante, livre une prestation plutôt correcte.
Avec son esprit très cartésien, Meg n’est pas forcément réceptive dès le départ au message des trois dames. Heureusement, ces dernières peuvent compter sur Charles-Wallace Murry, le petit-frère adoptif de Meg, pour ouvrir les yeux de sa sœur à la réalité du monde qui l’entoure, et notamment à la Compraction, la capacité de se déplacer dans l’espace-temps grâce à la puissance de l’esprit, afin de retrouver leur père disparu. Car sous sa petite bouille d’enfant tête à claque, Charles-Wallace donne l’impression d’avoir déjà vécu un millier de vies. C’est le jeune Deric McCabe (le film d’horreur Stephanie), qui interprète le rôle du frère adoptif de Meg. Il est assurément LA révélation de ce film.
Dans leur quête pour retrouver leur père, Meg et Charles-Wallace pourront compter sur Calvin O’Keefe, camarade de classe de Meg. Si cette dernière est la « rebelle » du collège, Calvin est lui le garçon mignon dont rêvent toutes les filles, et plutôt intelligent de surcroît. Alors quand celui-ci éprouve le besoin de se rapprocher de Meg, notamment grâce au talent de Charles-Wallace, notre héroïne s’en retrouve toute déstabilisée, ne sachant pas pourquoi quelqu’un d’aussi populaire serait prêt à gâcher sa réputation pour être avec le vilain petit canard de l’école. Rendu célèbre pour son rôle de Peter Pan dans le récent préquel sur le personnage créé par JM Barrie, Levi Miller (Pan, Watch Out, Red Dog : True Blue, Jasper Jones) donne ici une interprétation plutôt passable de ce personnage d’amoureux transi, sans être mauvais pour autant.
Elles sont celles par qui l’aventure de Meg, Charles-Wallace et Calvin va commencer… il s’agit bien entendu des trois Madame. Sorte de divinités millénaires qui veillent sur l’Univers, elles sont les gardiennes du bien.
La première que nos héros vont rencontrer est Mme Quiproquo. Plus jeune des trois gardiennes, Mme Quiproquo est un personnage plutôt excentrique et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Elle n’hésite pas à dire tout haut ce qu’elle pense de nos trois héros, et plus particulièrement de Meg, qu’elle ne semble pas beaucoup apprécier. Mais au moins, avec Mme Quiproquo, il n’y a jamais de quiproquo. C’est Reese Witherspoon (Sexe Intentions, La Revanche d’une Blonde, la série Big Little Lies) qui joue ce personnage pas toujours très aimable, mais toujours prête à partir à l’aventure.
Deuxième des trois Madame, mais aussi la plus âgée, Mme Qui est un véritable puits de science. Elle a atteint un tel niveau de sagesse, qu’elle a acquis la particularité de ne s’exprimer qu’en citations philosophiques de grands personnages historiques, tant et si bien qu’il devient parfois compliqué pour nos héros de la comprendre. Déjà connue pour ses prestations de doublage VO dans de récents films de Disney, Mindy Kaling (40 ans toujours puceau, Les Mondes de Ralph, Vice Versa, les séries The Office et The Mindy Project) interprète avec douceur ce personnage de femme savante.
Dernière des trois Madame, mais également la plus forte et la plus combative, Mme Quidam est celle qui se rapproche le plus de la figure divine pour nos trois héros, et cela dès sa première apparition. Très proche de Meg, elle est comme une sorte de conscience pour la jeune fille, et va la pousser à se surpasser afin qu’elle sorte de son cocon et parte à la recherche de son père disparu. Pour incarner cette figure quasi mystique, qui de mieux que la papesse de la télévision américaine Oprah Winfrey (La Couleur Pourpre, La Princesse et la Grenouille, Le Majordome, Selma, présentatrice du Oprah Winfrey Show), qui livre ici une prestation assez classique de femme sage, gardienne de la conscience et de la confiance d’une adolescente mal dans sa peau.
Afin de retrouver la trace du père de Meg et Charles-Wallace dans l’Univers, les trois Madame ont l’idée de faire appel au Médium Heureux. Grâce à ses capacités de connexion avec le cosmos, celui-ci à la faculté de localiser les personnes auxquels on tient le plus… et en l’occurrence, la personne à laquelle Meg tient le plus. Malgré un côté à la fois loufoque et strict, le Médium Heureux aidera Meg à avancer dans sa quête intérieure. C’est Zach Galifianakis (Into the Wild, la saga Very Bad Trip, Birdman) qui joue ce personnage drôle et attachant.
Mystérieusement disparu depuis quatre ans, le Docteur Alex Murry est le père de Meg, et le père adoptif de Charles-Wallace. Connu pour ses travaux sur l’infiniment grand, le Dr Alex Murry était un scientifique de renom sur Terre. Toutefois, sa présentation de la Compraction, théorie du voyage spatio-temporel par la seule force de la pensée l’a discrédité. Alors lorsque se présente l’opportunité de prouver ses dires, il n’hésite pas à franchir le pas de la téléportation spatio-temporelle… quitte à ne jamais en revenir. Plutôt habitué à des rôles de séducteurs, Chris Pine (la saga Star Trek, Les Cinq Légendes, Into the Woods, Wonder Woman) nous offre ici une interprétation plutôt touchante d’un homme partagé entre l’amour pour sa famille, et son amour de la science.
Si leur père a disparu dans l’Univers, Meg et Charles-Wallace peuvent toutefois toujours compter sur leur mère, le Docteur Kate Murry. Elle aussi brillante scientifique et spécialiste de l’infiniment petit, le Dr Kate Murry est pour le coup beaucoup plus terre à terre et moins rêveuse que son mari. Si d’apparence, elle semble avoir fait le deuil de la disparition de celui-ci, ceci n’est qu’une façade, afin de se montrer forte pour ses enfants, et notamment pour Meg. C’est Gugu Mbatha-Raw (Jupiter – le Destin de l’Univers, La Belle & la Bête, The Cloverfield Paradox) qui joue le rôle de la mère de nos héros.
Mais tout le monde n’est pas forcément prêt à aider Meg à retrouver une vie normale, à commencer par Veronica Riley, sa voisine et camarade de classe. Si Meg est une jeune fille renfermée sur elle-même, Veronica est tout le contraire. Leader des filles populaires du collège, elle est une véritable source de méchanceté à l’encontre de Meg, qu’elle n’hésite pas à humilier publiquement. Malheureusement pour Veronica, et heureusement pour nous, Meg a plus de répondant que la « reine de l’école » ne le pensait. Nouvelle égérie de Disney Channel, Rowan Blanchard (Spy Kids 4, la série Le Monde de Riley) interprète ce rôle de petite peste qu’on adore détester.
Si Veronica est l’antagoniste de Meg sur Terre, dans l’Univers les choses se corsent. Car la méchanceté n’est pas chose naturelle ; et si Veronica est ainsi, c’est principalement la faute du Ça. Si les trois Madame représentent tout ce qui peut être bon, alors le Ça est leur total opposé. Replié dans sa forteresse, la planète Camazotz, le Ça peut prendre plusieurs formes, afin de tenter nos héros et les empêcher de retrouver le Dr Alex Murry.
Parmi ses différentes formes, le Ça peut être une Femme au foyer proposant de nombreux bons petits plats cuisinés, ayant l’apparence de Bellamy Young, la Première Dame de la série Scandal.
Le Ça peut aussi prendre l’apparence de Rouge, un plagiste bonimenteur qui a les traits de Michael Pena (Ant-Man, Seul sur Mars), et qui est prêt à vous tenter avec des jeux et encore une fois avec de la nourriture.
Le Ca peut encore prendre d’autres formes, toutes plus surprenantes les unes que les autres. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, sa forme la plus effrayante n’est pas son aspect naturel (une sorte de gros cerveau qui fait penser à la forme originelle d’Ego dans Les Gardiens de la Galaxie Vol.2), mais bien quand il prend possession d’un être pur et innocent pour tenter d’arriver à ses fins : pervertir le cœur de Meg.
Dans Un Raccourci dans le Temps, les femmes sont devant, mais aussi derrière la caméra. Ainsi, après Jennifer Lee au scénario, c’est à Ava DuVernay (Middle of Nowhere, Selma) qu’a été confiée la réalisation du film, devenant ainsi la première réalisatrice noire-américaine à tourner un film dont le budget est supérieur à 100 millions de dollars.
Si le film ne se démarque pas par son histoire très originale, la réalisation d’Ava DuVernay est, elle, plutôt propre, et finalement dans l’esprit très onirique développé par les différentes thématiques du film. Certains parti-pris de mise en scène sont ainsi bien éloignés des clichés du film hollywoodien traditionnel, et font comme un écho à de multiples références du cinéma de genre des années 1980.
Autre élément important du film : la musique. Composée par Ramin Djawadi (Iron Man, Le Choc des Titans, Pacific Rim, les séries Game of Thrones et Westworld), la partition propose quelques bons morceaux, avec des airs qui se retiennent assez facilement, et qui appellent au voyage spirituel à travers l’espace-temps.
En plus du côté classique, la bande originale propose quelques morceaux plus pop de Sia ou Demi Lovato, et notamment le titre « Flower of the Universe » de Sade, repris à de multiples reprises dans le film par les divers personnages, véritable hymne à l’amour familial, malgré l’éloignement des uns et des autres dans l’Univers.
Véritable projet casse-gueule pour Walt Disney Pictures, Un Raccourci dans le Temps est un film qui va à coup sûr diviser grandement les gens. Si du point de vue technique et du jeu d’acteurs, le film s’en sort plutôt bien, c’est du côté de son histoire qu’il pêche. Tout comme John Carter ou Valérian et la Cité des Milles Planètes sur les adaptations de récits de science-fiction, Un Raccourci dans le Temps part avec le handicape d’être l’adaptation d’une histoire qui fut précurseuse dans les années 1960, mais dont les thématiques ont depuis été largement reprises par la littérature adolescente des années 1990-2000, et largement adaptée par Hollywood sur grand écran. Ceci donne une impression d’avoir déjà vu le film sans l’avoir vu, alors que paradoxalement, il s’agit de la première adaptation fidèle à l’œuvre, à voir ainsi le jour (et de la seconde, si l’on considère le téléfilm des années 2000).
Si les adultes risquent de ne pas trouver le film à leur goût, le jeune public devrait néanmoins beaucoup plus l’apprécier, de par les thématiques qu’il porte, et qui sont souvent l’apanage des programmes jeunesse, dont les programmes de Disney Channel d’ailleurs : acceptation de soi, tolérance, perte d’un proche, et tout simplement « grandir ».